LA JEUNE FILLE AUX MANCHES OUVERTES...
Un jour en 3ème secondaire, je crois, notre prof de français nous parla de Francis Jammes. J’aimai tout de suite cette façon un peu saugrenue d’aligner ses vers, d’autant que nous étions baignées de poésie classique. Tant d’années après, je peux encore réciter de mémoire:
La jeune fille est blanche,
elle a des veines vertes
aux poignets, dans ses manches
ouvertes.
Est-ce qu’elle se doute
qu’elle vous prend le cœur
en cueillant sur la route
des fleurs
C’est seulement beaucoup plus tard que je m’aperçus que notre« Anthologie des poètes français » avait triché..On nous fournissait nos manuels scolaires par l’entremise de la « procure » qui, veillant scrupuleusement à la morale des jeunes filles, choisissait ses éditeurs parmi les mieux pensants. Il me fallut donc des années pour savoir que Francis Jammes avait innocemment écrit trois strophes supplémentaires:
On dirait quelquefois
qu’elle comprend des choses.
Pas toujours. Elle cause
tout bas.
« Oh ! ma chère ! oh ! là là...
... Figure-toi... mardi
je l’ai vu... j’ai rri. » — Elle dit
comme ça.
Quand un jeune homme souffre,
d’abord elle ser tait :
et ne rit plus, tout
étonnée.
Et c’est tout étonnée que je comprends à mon tour combien on nous tenait loin du plus petit tressaillement sentimental. Il aurait pu mettre notre cœur à mal , qui sait !
Cette « Jeune fille » début de siècle ressemble peu à mon cahier d’images. Mais je vous la présente quand même, en souvenir de ma jeunesse.