QUAND J'INTERROGEAIS L'ETERNITE...
A 3 ans, un peu timide, je suis entrée à l’école gardienne et me suis assise sur un petit banc à côté d’un garçon. Il avait l’air perdu, il ne voulait pas pleurer et s’appelait Robert.
- C’est bien, a dit Mademoiselle Raymonde.
Serge poussait Virginie qui cherchait sa maman. Melle Raymonde a conduit Virginie dans le bac de sable sur lequel je louchais avec envie. Mais Virginie seule a pu distraire son chagrin en faisant des patés, tandis que Francine en hurlant refusait de franchir la porte. Sa mère tentait de la raisonner mais sans force, alors Melle Raymonde s’est agenouillée devant Francine tout en faisant signe de la main à la maman pour qu’elle s’en aille. Melle Raymonde avait deux grands yeux bruns souriants comme des miroirs et moi, je la regardais, le dos tourné, déroulant un tableau sacré attaché au mur. Elle claqua dans ses mains :
- On va tous faire la prière.
Beaucoup connaissaient le signe de la croix, moi qui n’avais pas eu d’exemple religieux à la maison je m’appliquais et me signai de la main gauche. Melle Raymonde vint à côté de moi et me montra sa main droite. Côte à côte, je fis donc comme elle. Je pus désormais faire avec les autres ma prière du matin.
La classe était spacieuse, nous faisions quelquefois une ronde devant l’estrade en chantant :
Madame la Neige, Madame la <Neige
Révei-ei-llez-vous
Les vitres regardent avec des yeux ronds
Elles attendent jolis flocons...
Je chantais haut et juste. Par contre, j’étais déjà très maladroite de mes doigts. Je triturais la plasticine avec volupté mais il n’en sortait qu’une boule informe. Robert, lui, travaillait avec sérieux et savait modeler un chien.
Et un jour, Melle Raymonde nous expliqua Dieu. Elle déroula sur le mur une autre toile peinte. Au-dessus, Dieu sur un trône, une multitude d’anges et de saints agenouillés ; en dessous, des êtres se tordaient d’une douleur visible. Melle Raymonde nous expliqua l’Eternité : une grande horloge dont les aiguilles montraient, opposés, ces seuls mots : TOUJOURS – JAMAIS. Toujours au ciel ou en enfer, jamais revivre ce que nous sommes, des enfants. Elle ajouta :
- Tous les bienheureux contempleront Dieu face à face, pendant toute l’Eternité.
J’examinais le tableau. Toute l’Eternité ? Toujours ? Sans fin ? Sans rien faire d’autre ?...Ce qu’on allait s’ennuyer !...
Il faut dire que les planches de l’époque nous montraient un Dieu pétrifié sous une couronne d’or et que les saints agenouillés avaient tous le même visage extasié. Il devait y avoir un décalage entre ce « cours » du jardin d’enfants et notre aptitude à comprendre. Après, j’ai beaucoup pensé à l’horloge « Toujours- Jamais ».
A ma façon, j’interrogeais l’Eternité.
PASSANTE