Je n’ai pas fait ma communion solennelle. Je regardais sans état d’âme les filles de ma classe qui avaient douze ans dans l‘année, quitter le cours de couture, deux ou trois fois par semaine, pour se préparer à la cérémonie avec le professeur de catéchisme. Je restais avec les autres, des doubleuses plus âgées que moi d’un an ou deux, que ces préparatifs ne concernaient plus. Leur communion solennelle c’était déjà du passé.
Les compagnes de mon âge s’étonnèrent vite de mon absence au catéchisme. Je dis simplement la vérité : nous étions trop pauvres pour m’acheter ou me louer la robe blanche tant convoitée par la plupart et qui, je ne sais trop pourquoi, me laissait indifférente. L’habitude, peut-être, de renoncer à beaucoup de petits plaisirs ? D’y renoncer de l’intérieur, sachant intimement, profondément, ce qu’avait été (et qu’était encore) notre façon de vivre dénuée de confort, nos soirées où l‘on économisait l’électricité (mon frère Jean, revenu de l’armée, retravaillait et l’avait fait installer depuis quelques mois), ou le charbon, sachant comment faire « couver » un feu. Nous savions calfeutrer les interstices des fenêtres, chauffer une brique dans le four pour qu’elle réchauffe nos pieds gelés, récupérer la laine d’un pull trop étroit afin d’en tricoter une écharpe, acheter à la charrette les fruits de deuxième choix, manger de la margarine au lieu de beurre, ne jamais aller en vacances sauf quelques jours chez ma tante, n’avoir jamais vu la mer dont les fillettes parlaient avec ravissement, jouer dans la rue et non au Parc de Bruxelles où les mamans « bien » emmenaient les enfants le jeudi après-midi, porter des gants en peau claire reçus de ma cousine et qu’on avait teints en noir à la mort de mon père... tous ces renoncements m’avaient appris un certain fatalisme et une acceptation certaine des événements tels qu’ils se présentaient.
Le dimanche tant attendu arriva. J’allai à la messe de 11 H. et non à celle de 10 H., maman s’y était opposée. Elle craignait sans doute que je sois triste devant le défilé des communiantes. Mais quand j’arrivai à l’église, les fillettes sortaient dans tout le blanc éclatant de leurs voiles qui volaient doucement dans la brise de mai. C’étaient les communiantes de la paroisse et parmi elles je reconnus Hélène, mon amie, tenant son missel avec componction, Hubertine et son sourire espiègle, Elise sournoise même ce jour-là et d’autres. Hélène s’arrêta auprès de ses parents et se tourna vers moi, tendant une main gantée et légèrement réticente. Elle semblait à la fois me plaindre et jouir d’une fierté un peu distante.
J’avais mon manteau beige du dimanche et le béret assorti. C’est dans le même costume que je fis ma confirmation quelques semaines plus tard, parmi les autres qui, toutes sans exception, étaient vêtues de neuf. Ce jour-là non plus, je ne me sentis pas gènée. Je m’en retournai sans hâte, traversant le Vieux Marché où se bousculaient les badauds qui se souciaient peu que la Confirmation eut lieu ou non. Puis je rentrai à la maison. Maman n’était pas venue, je ne le lui avais pas demandé. Nous ne savions pas très bien, je crois, que ce jour avait un sens religieux particulier. Nous étions comme toujours un peu isolées du monde. Et puis, maman n’avait qu’une vague notion de la Foi, sans cependant y être opposée.
Je remarquai en rentrant comme les arbres étaient verts. Bientôt, ce serait à nouveau la foire !
PASSANTE
samedi 7 février 2009
LA COMMUNION SOLENNELLE
Commentaires sur LA COMMUNION SOLENNELLE
- Croire ou ne pas croirePour ma part, j'ai été absorbée par la religion protestante, la catholique, vivant avec des protestants et pratiquant celle catholique. Donc jallais enfant au cimetière des ancètres dans le carré des protestants et le reste du temps je passais ma vie avec les religieuses. Je fus bien imprégnée mais jamais convertie. Ma communion solennelle fut marquée par la solitude et ...une belle robe qui parait valait-il une vraie fortune, avec de vrais bijoux et surtout une révolte en moi qui grandissait, grandissait. Cela se termina mal avec les religieuse et .. la foi. alors on me forçait à jouer de l'harmonium en me martelant que si je ne croyais pas ma musique était comme une prière...Ces religieuses étaient nobles et amenaient tous leurs bijoux et leur fortune à la congrégation ? souvenir religieux quand tu nous tiens!
- L'EtalageOui, le luxe déployé par certaines familles va à l'encontre de l'esprit même de la cérémonie. Et aurait pu marquer la fillette que j'étais, mouton noir dan le troupeau blanc. C'est le hasard de la proximité qui m'a inscrite dans une école catholique, l'école communale proche où on m'avait placée d'abord à trois ans s'étant révélée catastrophique pour mon vocabulaire...Nous habitions à la lisière du quartier populaire et j'eus tôt fait d'adopter un langage ..populaire. L'école catholique était payante, une dame d'oeuvre qui connaissait maman s'est interposée et je suis entrée incognito et gratuitement dans un milieu nettement plus convenable. Et c'est là que j'ai reçu une formation religieuse, qui faute d'exemples familiaux aurait pu s'effondrer à la fin de mes études. Mais il se fait que je suis croyaznte, néanmoins!...
- PtitecoquineTon cheminement est aussi particulier que le mien, bien que différent. Tu as vécu dans un milieu où l'on a voulu t'imposer la foi. Je n'ai connu aucune pression puisque chez moi on ne pratiquait guère, le souci primordial de maman était que je sois "bien élevée". Donc je me suis nourrie de bribes et de morceaux, mais librement.Et je n'ai jamais eu une vision complète de la religion, abandonnant peu à peu l'église pendant de nombeuses années. Puis y revenant par à-coups, puis y trouvant des grâces qui m'aidèrent en des moments très difficiles.
J'ai fréquenté un peu les religieuses à cornettes de t Vincent de Paul; l'une d'elles, tellement dévouée aux pauvres, disait en parlant de celles qui émanaient de familles riches "les religieuses à traîne". J'ai aimé cette expression qui traduisait bien les différences entre dévouement total et un certain dédain de celles qui, effectivement, étaient riches et donnaient leurs biens à la congrégatin. J'en ai connu. - Liberté...de croire ou pas, là est l'essentiel.
J'ai été élevée dans la religion catholique, j'ai fait la communion solennelle avec l'aube qui m'avait été offerte par une grand-tante (je crois bien) mais dès que cela est passé, je n'ai plus du tout fréquenté l'église. Je suis athée et surtout, ce qui me révolte c'est de voir l'étalage de richesses de l'église.
J'ai très peu connu les soeurs, un mois peut-être mais c'est trop long à raconter, je pense à un futur article là dessus.
Cependant, j'ai laissé la liberté d'aller au cathéchisme à mon fils. Je ne l'ai pas fait baptiser car je ne pense pas que j'aurais dû décider pour lui de sa religion, mais c'est un autre débat.
En tout cas, merci pour ce texte qui rappelle bien des souvenirs à notre génération. - Il y a l'église somptueuse, radicale, bien éloignée des réalités de la vie et du message d'amour du Christ, et l'église des pauvres, moins voyante, tellement plus "riche" finalement. Je suis en train de lire "Moine des cités" de Henry Quinson (ed. Nouvelle Cité), qui, après avoir été trader à Wall street puis moine trappiste a fondé une "fraternité" au coeur d'une cité bigarrée de Marseille, où il vit parmi une population essentiellement musulmane, travaillant à mi-temps et se mettant au service de ses voisins le reste du temps, notamment pour du soutien scolaire. Interpellant !
- MazedLes richesses de l'Eglise ont pas mal détourné les gens de la religion. Mais celle-ci a deux visages, il en est de discrets et d'autant plus efficaces. Le tout est de les rencontrer, de les connaître. Ce n'est pas évident.La liberté de choix aussi me semble normale: on ne peut "obliger" quelqu'un à "croire". C'est tout à fait personnel. Dans ma génération, les parents croyants exigeaient cette croyance de leurs enfants et s'étonnaient de les voir se détourner. Nous pourrions parler longtemps de ce sujet délicat. Je lirai avec intérêt l'article que tu projettes. Amitié, Maz,
- L'église des pauvresOui, elle existe, Obs, j'ai personnellement connu les petites soeurs des Pauvres et j'ai bénéficié, à un moment difficile de ma vie, de leurs soins gratuits et absolument désintéressés. Je serais heureuse de lire ce livre que tu signales. Tu me le prêteras? Et, quand j'étais enfant, les frères capucins organisaient des jeudis après-midis pour les enfants des rues ou ceux qui n'avaient aucune distraction. C'est là, notamment, que j'ai lu des albums passionnants, tandis que d'autres jouaient au ballon dans la cour; puis nous goûtions tous ensemble et avions l'impression d'avoir été aimés.
- moine des citésEn effet, quel exemple que cet Henry QUINSON, ancien Trader de Wall street ayant tout abandonné : pouvoir, richesses pour devenir moine des cités à Marseille. Il consacre ainsi toute sa vie aux autres. Il est vraiment très fort dans sa tête et son âme. Il a chosi ce qu'il y a de plus difficile : agir au milieu de l'adversité. Sacré bonhomme.. La foi l'a soulevé au dessus des montagnes.
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en France, avec la séparation de l'Eglise et de l'Etat, je n'ai pas connu cela, d'autant moins que nous étions, et je suis toujours, athée jusqu'au bout des ongles. sauf peut-être ma mère, qui devait avoir de forts doutes.
mais ce que je trouve excécrable, et le mot est doux, c'est cet étalage de costumes neufs, pour une "communion" avec un dieu, qui, normalement, n'en demande pas tant.