MADAME HELENE
Elle m'a raconté son histoire. Elle avait des yeux bleus très doux. Elle m'a dit: "Vous pouvez en parler, maintenant cela n'a plus d'importance. Et les gens sauront". Alors, je raconte...
X
J’ai 67 ans. J’ai toujours froid. Il n’y avait pas de feu dans la chambre. L’hiver, la bise soufflait par les interstices de la fenêtre. Je recevais le courant d’air sur l’épaule, là où j’ai de l’arthrite maintenant. Non, pas d’eau chaude non plus. J’étais petite et mince, j’ai eu plusieurs syncopes. On m’a exemptée des mâtines.
Sœur Ingrid est partie la première, puis sœur Agnès. Moi je n’osais pas. Je n’avais rien, pas de métier, pas d’argent. Je ne raconte jamais mon histoire. Les religieuses d’aujourd’hui sont différentes. Nous sommes la génération d’entre deux, sacrifiée, oui, vous pouvez le dire.
Mon frère s’est arrangé, j’ai été déliée de mes vœux, on m’a aménagé une petite chambre chauffée chez maman et j’ai fait le ménage. Maman était bien contente, elle souffrait des genoux et elle a pu se reposer.
Quand elle est morte, j’ai fait le ménage chez M. le curé. Je cuisine. Il est très bon. C’est un bel homme. Je crois qu’il m’aime bien. J’entretiens le linge d’église, je range les chaises et les livrets sur la table au fond, je remplace les bougies usées, vous voyez , je ne suis pas malheureuse. Un peu seule, souvent même. Enfin ! Je ferme l’église après la messe du soir. On m’appelle « Mme Hélène ».
Je m’occupe aussi de la salle paroissiale, enfin du club des seniors qui jouent au whist une fois par semaine. Il y en a de moins en moins. C’est triste.
PASSANTE