LA LETTRE
(Voici la suite de : "Je serai romancière")
X
J’étais probablement en congé scolaire ce jour-là puisque je me souviens de maman ouvrant la porte de la cuisine où je débarrassais la table. Elle avait relevé le courrier et soudain s’exclama :
- Une lettre pour toi ? Qui t’écris ?... « Mademoiselle Lorraine X... ». Je vous demande un peu : « Mademoiselle » !... On ne sait pas que tu es une gamine ?...
Non, on ne savait pas ! J’étais figée, partagée entre la joie et l’inquiétude, je pensai brusquement à la réaction de ma mère qui allait comprendre que je m’étais cachée d’elle, que je m’étais tue, que j’avais osé...Mais la joie de recevoir une réponse, même si elle était négative, me rassurait toutefois : je n’avais pas importuné, on prenait la peine de m’écrire et...non, l’enveloppe ne contenait pas mon texte en retour, c’était une simple feuille de papier à lettre que maman sortait prestement de l’enveloppe, tandis que j’attendais le verdict :
« Mademoiselle, j’ai bien reçu votre nouvelle, je l’ai lue avec intérêt,. On sent que vous êtes très jeune, mais le récit est agréable, se laisse lire et j’ai le plaisir de vous annoncer que je le publierai dans le n° ... de la revue. Si vous avez un n° de C.C.P. faites-le-moi parvenir afin que je vous verse votre cachet «
Maman n’était jamais à court d’argument. Française, issue d’une famille ou cinq filles n’avaient pas eu la vie facile à cause du départ du père pour une destination inconnue et qui ne revint jamais, elle avait tôt acquis le sens de la répartie, et sa vivacité mêlée d’espièglerie lui restait par-delà les années. Mais cette fois-ci, elle fut sans voix. Tout comme moi, d’ailleurs ! Elle était restée debout. Elle s’assit, puis me regarda et sa voix était toute changée :
- Ma petite fille, dit-elle, tu as donc écrit en cachette ?
Je bafouillai un « oui » qui m’étranglait un peu. Mais maman semblait anéantie :
- Tu y tenais tant que ça à cette idée d’écrire ? Et moi je n’ai pas compris...
Puis me regardant bien en face, de ses yeux bleus délavés par les larmes versées pendant tant et tant d’années après la mort de mon père :
- Peut-être que tu y arriveras. Peut-être que ce sera très difficile. Tu le sais bien, n’est-ce pas, que je ne peux pas te payer d’études ? Que je le voudrais du fond du cœur, mais c’est impossible !
C’est moi qui l’ai rassurée. J’ai dit que cela ne faisait rien, que je continuerais la couture et les cours du soir de sténo-dactylographie, et que j’écrirais pendant mon temps libre. Je la revois, les mains abandonnées sur ses genoux, désemparée. Elle ne me gronda pas et le soir, quand mon frère aîné rentra (Il était aussi mon tuteur, je le rappelle) elle lui expliqua un étonnement provoqué par mon attitude de dissimulation et plus encore par la réponse du rédacteur en chef.
J’allai dormir le cœur en paix.
PASSANTE