POMME D'OR
« Pomme d’or, pomme d’argent
La dernière y reste dedans »...
Une grande fillette blonde conduisait le monôme en nasillant le refrain. Petits garçons et petits filles serpentaient à toute allure à travers le square, dans le soleil.Deux gamines face à face avaient noué leurs doigts et d’un geste arrondi, formaient de leurs bras nus une anse sous laquelle s’engouffrèrent soudain, en file indienne, les marmots essoufflés. On retint le dernier, un bonhomme de 4 ans qui palpitait entre ces sourires futé s et la prison enlaçante où le retenait les mutines.
« Pomme d’or ou pomme d’argent ? »...
Qu’en savait-il, le pauvre ? La pomme d’or avait des yeux noirs et un nœud rouge aux cheveux ; la pomme d’argent lui chuchotait des gentillesses à l’oreille ; il balbutia un mot et triomphante, la brune clama : « C’est moi, c’est moi !... » et engagea du geste le bambin à se placer derrière elle.
Il s’accrocha solidement à la taille frèle et le monôme, une fois de plus, défila. Je m’éloignai. Monotone, la chanson claquait dans l’après-midi de mai : « Pomme d’or, pomme d’argent » ?
Là-bas, les gosses choisissaient « pour rire » entre les deux tentatrices la compagne d’une minute de jeu.
Plus tard, devenus hommes,ils choisiront le compagne d’une vie. Sans se souvenir de l’ariette symbolique qui leur pédisait l’avenir, ils s’interrogeront peut-être : « Alice ou Elodie ? », comme en ce jour ensoleillé où on leur demandait : « Pomme d’or, ou pomme d’argent ? ».
Et on les reverra peut-être dans ce même square, entourant l’élue d’un bras assuré, renouvelant sans y penser le mouvement de préférence qui les attachait, jadis, aux jupes d’une fille d’Eve.
LORRAINE