L'AVANCEE EN AGE (16)
22 avril
La mort fait partie de la vie. On aimerait s’y préparer. On s’y prépare d’ailleurs, à petit bruit, discrètement, sans importuner le compagnon ou la famille. C’est en soi que l’on met de l’ordre. Les actes de la quotidienneté prennent du recul, s’allègent, nous libèrent peu à peu de l’agitation vaine qui teinte si souvent les actions des hommes.
Mais quelquefois, depuis la retraite, je me sens vide. L’agitation me manque. J’ai vécu une profession bousculée, sans cesse sur le qui-vive, qui me convenait. Je la pratique encore, mais à un rythme réduit ; je la quitterai comme on se défait d’un vêtement familier, avec amitié et une certaine indifférence.
Il me semble avoir épuisé les émotions, les nouveautés, les imprévus et les déboires que plus de quarante ans de métier ont accumulés et j’apprécie le calme qui a remplacé la tempête. Sauf lorsque cette tempête m’apparaît irrésistiblement comme « la vraie vie » et que naît une bouffée de nostalgie, sinon de regret. Je travaille encore, mais si sagement ! Je m’ennuierais sûrement si je n’avais pas remplacé l’ardeur de la journaliste par les tourments de l’écrivain. J’écris l’histoire amusante et tendre des chats qui ont accompagné ma vie depuis l’enfance ; ils se suivent dans le récit, vagabonds ou pensifs, drôles et déroutants, tandis que les années s’égrènent.
Cette histoire me fait saigner, (parce qu’elle est pleine de souvenirs heureux ou tristes) c’est la seule façon de bien écrire. S’il ne se mêle pas à l’encre un peu de notre propre sève, la plume n’aura pas d’écho. Il lui faut les palpitations et les doutes de celui qui écrit, l’hésitation et la brusque aridité, qui ôte toute pensée, tout désir de poursuivre et réduit l’auteur à son ombre paralysée devant la feuille vierge. Je connais. J’apprécie. J’accepte. Ecrire me relie au passé et une fois surmontés les affres de l’écriture, quelle renaissance que retrouver le mot qu’il fallait là où il fera mouche. L’aventure repart, le livre se poursuit et la vie continue. Je n’imagine pas d’arrêter d’écrire, ce serait là ma vraie mort.
PASSANTE