RETOUR DE BERNE
Sa chambre est là, au 3ème étage…A l’accueil, l’hôtesse m’en informe. J’avance vers la porte automatique et puis…Non, je ne pourrais pas. Je ne peux pas…Un demi-tour en hâte, j’échappe au regard étonné de la préposée, heurte sans le vouloir un monsieur pressé qui entrait, et me précipite vers ma voiture.
Sa chambre est là, au 3ème étage…et moi je suis un lâche, doublement lâche puisque la revoir me paralyse, que la horde de mes souvenirs me ligote. Même si elle a besoin de moi. Si elle a peut-être besoin de moi. Je n’en sais rien.
Je l’ai quittée dimanche passé, un soir comme tous les soirs, sans oser lui dire. Elle souriait, elle n’avait rien deviné. Il faut avouer que je suis très maître de moi, d’habitude, et même dans des circonstances aussi particulières . Elle m’a lancé, taquine :
- A mardi. N’oublie pas…
Comme si j’allais oublier !.. Je venais de la mystifier, avec un calme, un aplomb dans lequel je retrouvais le menteur que je suis. Evidemment, c’était un peu cynique. Mais aussi pourquoi avait-elle transformé notre aventure de passage en une histoire d’amour éternel ? Les femmes ont de ces naïvetés, de ces illusions… Quand elle avait chuchoté « Et si je partais avec toi ? »… j’avais d’abord cru à une plaisanterie : c’était une grande fille, quand même, elle avait sûrement compris que je n’étais ici que de passage, pour un mois, et que je repartirais ensuite à Berne où j’ai un poste important d’avocat d’affaires…et une épouse. L’épouse, elle ignorait. Elle me croyait séparé, en instance de divorce. Et, empêtré dans mes mensonges, par facilité, par désarroi aussi, je n’avais rien réfuté : oui, on partirait ensemble mardi, oui, je viendrais la chercher avec ses bagages, oui, je l’aimais…
Mardi, je suis parti…seul. J’ai téléphoné juste avant de monter en taxi: « Excuse-moi, je suis à l’aéroport, je pars »…et j’ai brutalement raccroché, parce que j’avais mal. C’est ma sœur (par qui je l’avais connue) qui m’a appelé jeudi :
- François, mais qu’est-ce que tu lui avais raconté ? Aline est entre la vie et la mort. Elle a avalé je ne sais combien de barbituriques…
C’est ma faute, j’ai ressenti tout à coup une souffrance aiguë, je me suis vu comme ce vil lâche qu’elle a décidé d’oublier définitivement. J’ai pris le vol suivant, je suis arrivé ici comme un fou. L’hôpital m’a dit qu’elle était sauvée mais encore très faible. Je regarde ses fenêtres.
Sa chambre est là, au 3ème étage…
LORRAINE