LES CHAPEAUX DE PAILLE (21)
Il dansait divinement, on eut dit d'instinct. Juliette le sentit dès qu'il lui prit la taille pour la guider d'une main ferme tandis que l'autre engloutissait la sienne dans sa large paume masculine. Dès que leurs pas se furent accordés, il risqua un premier ocho, parfaitement effectué, dont se dégageait une indéniable sensualité. Celle-ci n'échappa à personne malgré la pénombre, surtout pas à Tante Henriette que le premier cavalier de Juliette venait d'inviter et qui dansait non loin du couple.
Lorsque la musique s'arrêta, il fallut bien pourtant se séparer pour chercher un autre partenaire. Juliette tendit la main à Pierre tandis que Rémi retournait s'asseoir.
"Eh, oh, ce n'est pas du jeu !", le rappela à l'ordre l'animateur. "Allez chercher une autre jeune fille", mais Rémi fit mine de ne pas entendre et ce sont trois couples seulement qui poursuivirent la danse avant de se dédoubler une nouvelle fois jusqu'à ce que la piste soit totalement occupée.
Au passage, Pierre avait eu le temps de dire à Juliette "Rémi en pince pour vous", ce qui avait fait sursauter la jeune fille avant de la faire sourire .
- Qu'en savez-vous ?
- Cela se voit comme le nez au milieu de la figure
. Je croyais qu'il vivait un douloureux chagrin d'amour ?
Mais Pierre tenait mordicus à son idée:
- M'est avis qu'il risque d'en connaître un deuxième.
Ils n'avaient pu poursuivre cette intéressante conversation mais maintenant que l'orchestre entamait une valse et que Juliette revenait vers sa famille, elle repensait malgré elle à ce que Pierre lui avait dit.
Dans son panier, le canard braillard de Tante Henriette se faisait entendre. "Pauvre bête, dit l'oncle Jean. Je vais le ramener à la maison.
Juliette intervint:
- Non, laisse, j'y vais. Je ramènerai en même temps les bouquets que nous avons reçus, ils meurent de soif.
- Voulez-vous que je vous accompagne, proposa Pierre.
Elle allait peut-être répondre oui mais Rémi la devança.
-"Ce n'est pas la peine. Je rentre, nous ferons le chemin ensemble.
Et sous les regards éberlués de la famille, il empoigna le panier au canard d'une main et un somptueux bouquet de l'autre. Il ne restait à Juliette qu'à le suivre.
OBS
La nuit était claire, le chemin sinuait entre les arbres, un ruisseau tintait non loin. Rémi marchait vite. Juliette sur ses hauts talons, avait peine à le suivre.
- Rémi, dit-elle, s'il vous plaît...
Il ralentit. Le canard regardait l'obscurité de ses yeux agrandis. Rémi demanda avec nervosité:
- Vous n'aviez pas envie de rester avec Pierre?
- Pierre? dit-elle, non, pourquoi?
- Parce que lui, il aurait bien aimé...
Elle réprima une envie de rire. » Ils sont fous, ces garçons! »pensa-t-elle. Mais elle n'en montra rien.
- Il vous a fait des confidences?
- Quelle idée! Non, évidemment. Mais je l'ai remarqué...
- Et à quoi , s'il vous plaît?
- Sa façon de vous regarder... D'ailleurs, c'est un beau garçon...
- Ca oui. Moi aussi je l'avais remarqué.
Il hâta le pas.
- Vous revoilà parti! Nous ne pourrions pas aller au même rythme, non?
- Si... Voilà. Donc, Pierre ne vous intéresse pas?
- Mais qu'est-ce qui vous prend? Ai-je dit une chose pareille?
Elle s'amusait, mais gardait son sérieux. Rémi demanda brusquement:
- Et mon idée de venir à Lille, vous y avez pensé?
D'un air dégagé, Juliette haussa les épaules:
- Oh! un peu. Je n'ai pas eu beaucoup de temps, vous savez. Il faudrait d'abord que votre maman accepte de me recevoir et...
- Mais elle accepte! Je lui ai téléphoné ce matin, elle est enchantée.
Juliette, stupéfaite, se tut. Elle n'avait plus envie de rire. Ses idées tourbillonnaient. Que voulait exactement Rémi? N'était-il pas l'amoureux éconduit la veille des fiançailles? Pourquoi l'invitait-il chez lui alors qu'il semblait ne lui accorder aucune attention particulière?
PASSANTE