BROU L'ESPIEGLE (fin)
Le chat
est aussi l’ami de celui qui rédige : écrivain, littérateur, poète,
journaliste, tous ceux qui se claquemurent dans un bureau pour y trouver
l’inspiration y trouvent également leur chat. Un chat installé sur le chapitre
en cours et très récalcitrant à l’abandonner ; ou encore écrasant de son
poids, tel un presse-livre, les pages déjà écrites. Il aime le calme un peu
feutré des lieux où se composent les histoires, vraies ou fausses, l’odeur de
l’encre, l’aimable désordre des uns ou la rigueur des autres qui ne supportent
qu’un meuble nu et leur pensée.
Broû
allait veiller ainsi avec vigilance sur mon destin de conteuse. Il était là
quand je griffonnais des notes ; et encore là quand je repassais du linge dans
la cuisine, un carnet et crayon à portée de main pour saisir au vol une phrase
bienvenue ou un paysage. Je lui lisais quelquefois un passage, il fermait les
yeux avec amour mais ne pipait mot. Je le soupçonne de manquer de sens critique.
Par contre, Maurice avait l‘œil et l’oreille. Ce puriste ne supportait pas les
assonances qui le heurtaient. A cette époque, il lisait par goût Montaigne,
Voltaire, Pascal, Anatole France et en était imprégné. Mes petites histoires
d’amour pour revues féminines n’avaient rien de commun avec eux et s’il le
comprenait – qu’aurait fait un éditeur de personnages causant comme au Grand
Siècle ! – il n’en était pas moins sévère pour ce qu’il appelait ma
« facilité » à écrire. Lui avait le souci du mot propre ;moi la
vivacité du récit. Nous passions des soirées passionnantes à recréer un
dialogue et quand j’inventais une histoire, je la lui racontais d’abord.
Broû
écoutait en silence, agitant parfois une oreille comme s’il avait mal compris.
Par contre, il appréciait particulièrement les « Feuillets » que
j’écrivais depuis longtemps (dès le lendemain de la guerre, en fait) qui
retraçaient chaque semaine pour les pages féminines de deux quotidiens, une
atmosphère, un croquis de fête, une rue sous la pluie , le marché aux oiseaux
ou l’automne sur la forêt ; le temps qui va, en somme, nous imprègne
fugitivement et disparaît pour toujours. Mon mari aussi approuvait ces billets poétiques et m’y encourageait.
Nous
ne savions pas ce qu’était l’ennui. Mais nous allions bientôt connaître une
nouvelle tristesse, car un soir d’hiver Broû s’en alla comme il était venu, par
la porte ouverte sur la rue comme Maurice accompagnait son cousin venu en
visite.
Où alla-t-il ? Chez qui trouva-t-il refuge ? Pourquoi fut-il sourd à nos appels, à nos recherches ? Jusqu’où l’emmena sa curiosité ou ses instincts émoussés de chat châtré ? Nous ne le saurons jamais. Monsieur Henri fut impuissant à le retrouver, personne dans le voisinage n’avait vu le disparu. Reparti dans sa nuit, il nous laissa désemparés, le cœur gonflé d’un inaltérable regret. Je rangeai les bouchons désormais inutiles. Et trois ans s’écoulèrent.
PASSANTE