SALUT, MILOU!
Avant-propos : J’avais averti en commençant mes « Histoires de
chat » qu’elles suivaient l’évolution de ma vie, afin de leur donner
l’animation réelle qui différencie chacun de mes félins. Je le précise donc pour ceux qui
liraient ce récit sans connaître ce détail. Et je
continue.
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Marianne
naquit en juillet ; maman m’avait accompagnée à la maternité au début de
l’après-midi et quand Maurice,
averti, arriva, le bébé dormait dans son berceau. J’étais de ces femmes qui
estiment qu’un mari est parfois encombrant dans ces circonstances particulières
et fus très satisfaite de m’être tirée d’affaire sans lui. J’avais également le
sentiment que moins on s’abandonne à la souffrance, mieux cela vaut.
Depuis
d’autres théories ont eu cours, mais je n’ai pas changé d’avis. Il fut donc
l’heureux père d’une petite file qui lui ressemblait à en avoir le vertige et
commença pour nous une vie bien différente de nos tête-à-tête d’amoureux.
Nous
n’avions plus repris de chat, nous craignions trop une nouvelle déconvenue.
L’arrivée de Marianne écarta le problème du moins pour un temps, la présence
d’un chat auprès d’un nourrisson n’étant pas vraiment souhaitable.
J’étais
folle de ma fille. Je tenais absolument à son bonheur, lequel passait – j’y croyais dur comme fer –
par une éducation équilibrée. Comme tous les parents, nous avions quelques
idées : ne pas céder à ses caprices, la nourrir à l’heure, la coucher à
l’heure, lui apprendre un langage correct ; Ddailleurs, je guettais son
premier mot.
Ce
fut un « papapapapapa » lancé à pleins poumons qui sortit de ses
lèvres à dix omis, au beau milieu d’une promenade. Plus moyen de l’arrêter. Les
passants souriaient, j’en pris mon parti. Le soir, mis au courant, flatté de
cette préférence manifeste, le père se pencha sur le parc dont elle martelait
vigoureusement les bords à l’aide de son baigneur en celluloïd et lui dit :
« C’est très bien, mon petit ». Et il posa sur ses cheveux noirs une
main compréhensive. Elle leva sur lui des yeux bleus semblables aux siens et bafouilla
à nouveau « papapapa » qui ne laissait aucun doute !
A
quelque temps de là, voulant parfaite nos principes éducatifs, je ramenai de la
bibliothèque des livres de psychologie enfantine, dont certains m’irritèrent
par leur présentation abstraite. Trop de théorie, pas assez d’action, les
chapitres manquaient de nerf et de couleur, ils ne touchaient pas la corde
sensible.
-
Mais enfin, il faudrait mettre en scène les parents et les enfants, voir leurs
réactions, ce serait plus vivant et plus efficace, dis-je un soir à Maurice.
Toujours
laconique, il répondit calmement :
-
Eh bien, qu’attends-tu ?
Je
restai d’abord interdite puis l’idée fit son chemin. Après tout, des articles
sur la vie quotidienne d’un jeune ménage avec enfants intéresseraient
peut-être ? « L’Ecole des Parents et des Educateurs » venait,
certes, d’éditer quelques
brochures bien faites. Elles racontaient, avec des mots simple et clairs, des
expériences diverses : « Il est égoïste », « Le
gourmand », « La confiance », « Il a besoin d’amis »,
« Il est désobéissant », « Comment corriger » etc. mais les
fascicules étaient diffusés dans un cercle restreint. D’autres part, peu de
journaux ou magazines publiaient à l’époque des articles éducatifs. Il y avait
peut-être là une porte à ouvrir ? Aussi quand Marianne, un an à peine, se
jeta par terre, leva les pieds au ciel et hurla, l’œil sec, parce que je venais
de lui reprendre la pipe de papa, j’eus la certitude que je tenais l’exemple
même de ce que vivent pas mal de parents d’enfants colériques et que c’était ça
qu’il fallait écrire. Le vrai, le pris-sur-le-vif, la colère et comment on en
vient à bout.
Ma
science étai assez neuve, en vérité, mais mon application à comprendre les
rouages de l’âme enfantine commençai à porter ses fruits. Je relevai donc ma
fille, la pris par la main bien calmement et la menai, s’égosillant, jusqu’à sa
chambre : « Ta colère, tu la fais ici. Viens donner un bisou à maman
quand tu seras calmée . Après on n’en parlera plus ». Je la laissai
là, un peu interloquée, la porte entrebâillée nous sépara juste assez, pas trop
pour ne pas créer d’angoisse et je retournai à la cuisine. Le silence. Un
hoquet…Et soudain, comme un ouragan, Marianne se précipite vers moi, se jette
dans mes bras : « …sou, maman ». Je l’embrasse, je la prends
contre moi, c’est ma petite fille et nous avons tout compris l’une et
l’autre : elle, la punition et moi, le pardon. Très vite, d’elle-même,
quand elle senitra monter la colère, elle courra vers sa chambre criera un bon
coup, reviendra avec effusion et la vie reprendra son cours normal.
« Elle
est colérique » fut le premier texte que j’envoyai au
« Ligueur », journal de la Ligue des Familles Nombreuses, qui ne
devait pas manquer de lecteurs perplexes. C’est ainsi que j’ai commencé ma
collaboration d’articles éducatifs, d’interviews, de reportages et me suis
retrouvée, de fil en aiguilles, sans bien savoir comment, journaliste
indépendante. C’est-à-dire
journaliste non salariée, payée à l’article, formule que j’avais choisie afin
de travailler selon mes disponibilités et d’élever ma fille sans être soumise à
des horaires stricts.
Et
c’est ici que son premier chat entre en scène…
PASSANTE
Photo: Marianne a dix mois