PICKWICK LA FUNAMBULE
Pickwick est un déluré aux yeux en amande quand il fait le câlin ou au contraire écarquillés quand il découvre une mouche derrière la vitre, l’oiseau zébrant le ciel de son vol noir ou tout simplement une boulette de papier jetée à dessein vers ses pattes agiles qui la renvoient et la poursuivent à toute allure.
La rapidité de Pickwick me surprend toujours. Il est ici et l’instant d’après il est là-bas. Les autres, même joueurs, avaient plus de majesté. Lui, il se déplace comme l’air, vif, intrépide et se retrouve entre vos pieds ou sous le fauteuil où il arrive en une glissade applatie. Le galop est son fort. Il y excelle. Je m’écrie: “Pickwick, par pitié, mes plantes”! car, de-ci, de-là, avant sa venue, j’ai déposé un lierre sur une console, une touffe de violettes sur une autre, une azalée rose sur une table basse. Mais lui s’en donne à coeur joie. Il a renversé le lierre dont le cache-pot s’est brisé; il vient de bousculer l’azalée en un saut impétueux et avec la plante la terre se répand sur le tapis. Je le tance, sévère. Il baisse les oreilles vers l’arrière en une courte rébellion, montre un peu les dents et souffle. Hôla, mon garçon, ne nous fâchons pas! Viens ici qu’on fasse la paix. Là, doucement, c’est bien. Donne ta patte sans griffe, ton museau étroit et ton petit front tenace qui se coule sous ma main pour une caresse de réconciliation. Pickwick s’est détendu. Il est à nouveau le jeune chat blanc et gris alangui sur le fauteuil, reprenant souffle, couché sur le flanc, innocent pour tout dire.
Il grandit rapidement. Il n’est plus le jeune chat à qui on donnait le lait dans un biberon de poupée, mais un jeune mêle-tout qui bondit sur la table (malgré mes objections) quand je lui prépare sa pâtée, en saisit prestement une bouchée avec la patte, mange délicatement et se lave longuement le museau, les moustaches, le jabot, avec de petits arrêts réfléchis, le geste en suspens. Et la toilette recommence. Sa coquetterie est visible, ses mines aussi. Et voilà qu’en y regardant de plus près, j’en ai la certitude: Pickwick est une fille. Une petite coléreuse mais qui se calme vite; une curieuse, qui s’en vient longuement explorer mon bureau, flaire les papiers, enlève adroitement les crayons de leur cassette, les fait rouler jusqu’au sol et entreprend alors un jeu de cache-cache qui n’en finit pas.
Quand je tape à la machine, elle m’observe, visiblement intriguée. Que voit-elle exactement? Qu’écoute-t-elle avec tant d' intensité? Quand je quitte mon siège, elle rôde autour de la machine, pose une patte hésitante d’abord sur le clavier, puis enhardie, tape à nouveau sur les touches. Le chariot se déplace à peine mais la chatte l’a vu. C’est à présent lui qui demande toute son attention. Manifestement, elle cherche le rapport entre ces touches qui bougent et le chariot qui avance. Je lui demande: “Eh bien, Pickwick?” et elle me répond “Mieueueu..;”. Toute sa perplexité passe dans ce murmure proféré d’une voix indécise. Impuissante à l’éclairer, je surprendrai souvent ma chatte assise à ma place devant la machine à écrire, tentant de résoudre une énigme.
PASSANTE (A suivre)