PETITS METIERS PERDUS...
Autrefois,
je m’aventurais à ouvrir le balcon et toute la ville venait à moi, multicolore
et ronronnante. Je connaissais des chiffonniers l’appel dans le matin, la
longue voix stridente d’une acheteuse de greniers, et j’entendais rouler sur
les pavés la charrette tirée par un gros chien. Chaque mercredi, la flûte
discordante d’un chanteur éveillait ma pitié et me crispait les
nerfs. Son répertoire ne changeait pas d’une note, fausse la plupart du temps ; il
s’arrêtait aux mêmes portes et souriait aux mêmes visages.
De
temps à autre, des enfants et leur maître s’en allaient à la piscine ; ils
passaient sous ma fenêtre et leur murmure envahissant devenait une houle
emplissant toute la chambre ; j’aimais leurs voix heureuses et j’écoutais
décroître leurs pas. Quand ils repassaient, ils avaient les cheveux mouillés
mais n’avaient rien perdu d’un entrain bavard qui réveillait l’aboi des chiens
au fond des cours et chassait les chats de la boulangère.
Il
y avait encore le rémouleur et son refrain, la fleuriste qui offrait ses
bouquets et le marchand de paniers, et le marinier qui vendait des anguilles.
Ils s’en allaient par petits métiers, tous dans ma rue, et la coloraient sans
le savoir de ses pittoresques nuances.
LORRAINE