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LE CAHIER DU SOIR de LORRAINE
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LE CAHIER DU SOIR de LORRAINE
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11 mai 2011

LA DERNIERE PORTE

 

Le grand escalier recouvert d’un tapis cramoisi conduit aux étages ; mais à mi-chemin, sur la droite, comme un caprice, deux marches saugrenues mènent à un élégant petit palier encadré par trois portes : le boudoir de ma tante, un cabinet de toilette et…

 

- Et quoi, tante Jeanne ?

 

- Rien du tout, dit-elle en lissant la pièce de soie amarante dans laquelle villas_2elle va couper une tenue d’intérieur.  Tiens, passe-moi le mètre, tu veux ?

 

Je veux. J’ai 8 ans et le boudoir de tante Jeanne me fascine. Des magazines de mode ouverts sur le sofa dessinent de longues créatures dont je contemple les robes du soir d’un œil écarquillé : du strass, des perles, des volants.  Un éventail de nacre surmonte la coiffeuse.  Des petits pots de crème sentent bon et les flacons au col étranglé miroitent de parfums qui, parfois , reflètent le soleil.

`

Je viens ici chaque année pour quinze jours de vacances auxquelles je rêve le reste du temps. Maman m’accompagne parfois, alors elle et sa sœur parlent longtemps, à voix basse pour que je ne comprenne pas.  Je suis tenace, alors je repose ma question :

 

- Dis, maman, c’est quoi, derrière la porte ?

 

- Un débarras.

 

-Et pourquoi on ferme à clef ?

 

- Parce qu’il ne sert plus. Allons, viens, il n’y a rien à voir.

 

Et elle m’entraîne dans le parc qui entoure les deux villas accolées, séparées à peine par une haie d’aubépines.  Quelquefois elle parle, par-dessus cette haie avec la voisine, une dame sérieuse, souvent en noir ou en gris.  J’aime mieux les jupes blanches de maman et ses blouses à fleurs échancrées, et ses bras nus.

 

- Où est Paul, maman ? Il était à l’armée, tu disais, il n’est pas revenu ?..

 

-Mais si il est revenu.  Seulement il travaille beaucoup, il est à Nice, loin d’ici.

 

J’aime bien mon cousin Paul, il y a longtemps que je ne l’ai  vu, il était  un peu comme un grand frère, il disait à ses copains : « C’est ma petite cousine Ernestine ».  Je ne m’appelle pas Ernestine, mais Angèle.  Il faisait semblant de l’oublier et riait quand j’étais vexée.  Il n’est pas là, c’est dommage.  Je suis un peu triste.

 

Ma tante aussi est triste, malgré ses toilettes et les romans qu’elle lit, parfois toute l’après-midi, couchée en travers de son lit.  Elle pleurait l’autre jour, elle a tenté de le cacher dans son petit mouchoir brodé, mais je l’ai vu. Pourquoi pleure-t-elle ?

 

Hier, maman et tante Jeanne sont allées chez le dentiste.  Elles m’ont confiée à Lucienne, la bonne et je l’ai regardé éplucher les légumes et laver soigneusement les fraises ; je l’ai un peu aidée.

 

- Je vais chercher mon grand chaudron, celui-ci est trop petit.  Sois sage, hein ?..

 

Et elle sort, et elle monte les escaliers couverts de tapis cramoisi et elle sort une clef de la poche de son tablier…Et moi, sur ses talons, sans bruit, toute petite, je suis là quand elle ouvre toute grande la porte du débarras.

 

- Angèle ! Qu’est-ce que tu fais ?...

 

J’entre, je regarde ce bric-à-brac où je retrouve les livres de Paul, la commode de Paul, la belle table de la chambre de Paul coincée près de la cheminée, son lit, son grand miroir, pêle-mêle, des photos, sa guitare, et au porte-manteau sa veste de cuir quand il partait sur sa moto.  Je suis sans voix.  La chambre de Paul, ce n’était pas ici, c’était à l’étage, on l’appelait « la chambre bleue » et maintenant...J’entre, j’avance, je me faufile, je vois bien que Lucienne est ennuyée, elle dira tantôt à tante Jeanne : « Je ne savais pas, Madame, je n’ai pas pensé..  ».

 

J’avance encore.  Et devant moi, barricadée, une autre porte. Une porte qui reliait autrefois les deux villas, quand elles appartenaient à deux sœurs qui, mariées, avaient voulu rester proches. Les propriétaires actuels l’avaient condamnée.  Et c’est par là qu’une nuit, ayant tout pesé, tout tenté, tout espéré,  Paul avait rejoint Joëlle, la fille de leur voisine, qu’on lui refusait en mariage.  

 

Cette dernière porte ouvrait sur l’escalier de service puis sur le jardin.

 

Ils sont partis à moto.  On n’a jamais eu de leurs nouvelles.

 

LORRAINE

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Commentaires
L
Plus assez de force, Amie! Bisous.
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L
Bon sang !<br /> Quand écris-tu un livre ?<br /> <br /> baisers tendres
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L
La curiosité tenace d'Angèle est donc communicative?...
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F
Moi aussi j'ai suivi jusqu'au bout Angèle, pur savoir enfin ce que cachait cette porte!
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L
Merci, ma Chanteplume, je m'en vais aller sur ton blog. Je suis heureuse du plaisir que cette "nouvelle" t'a donné.<br /> Je t'embrasse fort
Répondre
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