LA VIEILLE QUI MARCHAIT DANS LA MER...
La vieille qui marchait dans la mer tournait le dos à la plage. Elle ne m’a donc pas vu. J’avais suivi Rose depuis la guinguette fermée où elle venait, pour la dernière fois, d’astiquer les cuivres et le parquet.
Nous étions fin septembre, une petite brise soufflait et les derniers vacanciers bouclaient leurs valises. Mais la vieille qui marchait dans la mer avait ses habitudes et de l’endurance. La plage était déserte. Rose mit son foulard sur ses cheveux blonds. Elle agita son trousseau de clefs et se dirigea vers le parking.
Je lui emboîtai le pas. Nous marchions vivement. Elle ne m’avait pas aperçu. Il faut dire que je longeais les terrasses closes. Nous arrivions aux premières dunes.
- Rose ! criai-je.
Elle se retourna d’un bloc.
-Non ! Encore toi, Hubert !
Elle a pâli. C’est une jolie fille un peu trop joyeuse avec les garçons. Son tort c’est de n’avoir pas compris. Quand nous avons fait l’amour la première fois, j’ai pourtant dit :
- Maintenant, Rose, tu es à moi. A moi seul.
Elle a ri. Elle rit toujours. Elle et moi, ça a duré tout le mois d’août. On s’amusait quelquefois à regarder la vieille qui marchait dans la mer, on savait à quel moment elle tournait sur elle-même et longeait l’eau transversalement. Mais Rose, en septembre, n’a plus voulu. J’ai dit : « Tu n’as pas compris, Rose, tu es à moi ».
- Hubert, calme-toi. Tu sais bien que je suis une girouette.
J’ai mis un mois pour le comprendre. Maintenant, il ne me reste qu’une chose à faire…
Rose ne s’est pas débattue. Elle est tombée dans les dunes, son foulard bien serré, trop serré autour du cou. Elle a juste eu le temps de pousser un cri.
Quand je me suis retourné, la vieille qui marchait dans la mer était sortie et me regardait…
LORRAINE
(Photo empruntée sur Internet)