RUE DES RENARDS
Je suis née tout près des Marolles, le plus vieux quartier de Bruxelles, populaire, historique et touristique et j’adorais m’y promener.
Mes souvenirs sont colorés d’images fortes. Les marchandes des quatre saisons poussaient allègrement leur charrette à bras débordantes de poires, fraises succulentes, légumes ou poissons; les chanteurs des rues accompagnaient à l’accordéon les derniers succès qui arrêtaient le badeau; la foule du dimanche matin allait et venait le long des vitrines de la lustreries étincelante, de l’épicerie aux odeurs mêlées d’exotisme, de la literie où l’on vendait aussi des couvertures, des lits d’enfants et des berceaux, et de la spécialiste en layettes “A l’Enfant Roi” présentant ses robes de baptèmes sur des bébés en celluloid qui ressemblaient à des poupées.
On y parlait le bruxellois, un langage issu du brabançon, dialecte de flamand mâtiné de nombreux mots français. Issue d’une famille francophone, je n’ai jamais vraiment compris ce parler où la “zwanze” avait souvent son mot à dire, humour typiquement gouailleur d’un peuple à la fois frondeur et gai. Les rues qui dévalaient du haut de Bruxelles portaient des noms d’autrefois: rue des Capucins, rue du Chevreuil, rue des Renards. J’avais une prédilection pour cette dernière, qui existait déjà au XVIème siècle; elle était vivante, allègre, bavarde. On y vendait aussi bien des bassines que des chemisiers, des cartes postales ou de la mercerie. On étalait sans façon son “bazar” sur le trottoir, et immanquablement les clients du dimanche, sortant de la messe à l’Eglise de l'Immaculée Conception sur le Vieux Marché à deux pas, grimpaient sans se presser la rue aux pavés tortueux pour faire un tour dans le quartier.
Juste après la guerre, la mode s’est faite américaine et anglaise. Rue des Renards, les boutiques se sont en un tour de main mises au goût du jour. Il faisait beau, je me souviens avoir flâné le long des boutiques et emporté la jupe écossaise très courte assortie d’une chasuble rouge vif dont les couleurs chaleureuses nous vengeaient de quatre ans d’occupation.
Qu’il est loin, ce temps-là! Mais il m’est revenu à l’esprit comme une bouffée de printemps et je vous le livre, non sans une pointe d’émotion.
LORRAINE