SOUDAIN UNE BOMBE EXPLOSE
Nous courons toutes les deux dans la boue. La nuit hurle sous les bombardements. Soudain, un ravin culbute sous nos pas et nous roulons, l’une sur l’autre, jusqu’en bas. Nina dit doucement :
-Je me suis fait mal..
Je réponds : « Il faut partir quand même, Nina, on est trop près, ici ». Je l’aide, je la soutiens, je veux regagner ma maison, faire manger Nina, j’ai encore trois œufs et un peu de vin, et du sucre planqué à la cave. Mais elle a de plus en plus mal aux jambes et ralentit. Soudain, une bombe explose, un jaillissement de feu, de pierres. Nina est touchée au front. Elle saigne, je lui fait un pansement avec son foulard. Je suis planquée près d’elle, dans un trou. +Elle grelotte. Et elle parle, elle parle…
- Tu te rappelles ma robe blanche à petites fleurs bleues ? Celle que j’avais quand nous avons connu Michel. Il a dit que j’avais l’air d’une princesse et que l’orchestre jouait seulement pour lui et moi… Que j’étais une petite fille mais que j’allais grandir. La guerre allait finir et…Oh ! que j’ai froid, Marie !...
Le sang perce sous le bandage. Deux avions tirent l’un sur l’autre presque au-dessus de nous. Le vacarme me brise les tempes. La main de Nina brûle dans la mienne.
- La guerre est presque finie. Michel va revenir. Marie, je l’aime et je crois qu’il m’aime aussi. Marie, tu lui diras…
Elle a un grand soubresaut et , simplement, meurt là, à 15 ans, en pensant à l’amour. A Michel. Michel, qui m’avait demandé de l’attendre et de l’épouser à son retour. Il n’est jamais revenu.
Je suis restée avec le souvenir de cette adolescente morte et de l’homme qui m’avait bernée. Ou qui était mort, lui aussi.
Non, je ne me suis pas mariée. Oui, j’ai des amis de passage. Ils disent que je suis cruelle. C’est possible.
LORRAINE