AU TEMPS DE L'EVENTAIL
L'été avait fleuri les roses et peut-être - qu'en savons-nous, il y a si longtemps! - avait-elle choisi sa jupe du même ton parce qu'elle était jeune et attachait à ces détails l'importance coquette de se sentir belle. Belle, certes! Pour qui? Un soupirant, un fiancé, un inconnu?.. L'éventail lui donnait cette contenance retenue et féminine et le geste élégant des mains fines. Que faisait-elle au bord du lac? Attendait-elle le retour d'un voilier ou simplement flânait-elle en rêvant que le temps passe, jour après jour, inexorablement, même pour les filles jolies dont on ignore les secrets...
Avant elle, combien d'autres femmes n'ont-elles pas erré dans les prairies, dans les jardins, la taille bien prise, le chapeau charmant, la crinoine étalée comme une fleur éclose? D'autres femmes, d'autres filles dont le destin se jouait le plus souvent en dehors d'elles-mêmes, en dehors de leur coeur, de leur espoir, de leur amour peut-être? Que d'éventails ont recueilli des larmes cachées ou des soupirs retenus! Ils apportaient, en même temps que leur fraîcheur, l'adresse qui cachait soudain une émotion trop vive, des joues rosies, un émoi inconvenant, voyons, Mademoiselle!
Nous n'utilisons plus l'éventail. J'ignore quand il s'est perdu au fond des tiroirs. Sans doute depuis que les femmes ont pris conscience qu'il leur était possible d'être, non ce qu'on attendait d'elles, mais ce qu'elles-mêmes souhaitaient être. Un petit objet charmant et futile, sacrifié (sans regret?) à la libération féminine.
LORRAINE
Tableau du haut: Alfred Stevens
Tableau à droite: pas d'indication d'auteur