L'ALLUMEUR DE REVERBERE
L’allumeur de réverbère arrivait du haut de la rue, d’un pas rythmé aux haltes presque machinales. Il semblait promener une étoile au bout d‘une perche; quand descendaient les crépuscules d’hiver, je le guettais depuis la fenêtre du premier étage. Nous habitions une maison qui faisait le coin et le bec de gaz était planté là, juste sous mes yeux. J’assistais ainsi, presque chaque jour, au petit miracle d’une flamme qui vacillait puis prenait forme.
La brume pesait sur le square voisin ; les arbres nus dressaient leurs branches comme des bras suppliants. J’attendais un peu, le temps que le porteur de lumière traverse la chaussée et accomplisse trois fois son rituel allumant les trois lampadaires du lieu.
Des silhouettes frileuses allaient d’un pas pressé ; au bas de la rue la vitrine du marchand de cigarettes étincelait comme un appel aux couleurs changeantes : bleu-rouge, bleu-rouge. Le sifflet du marchand de journaux itinérant s’entendait de loin; les clients du soir ouvraient chichement leur porte, prenaient leur quotidien et rentraient vite. Il allait dans un sens, l’allumeur dans l’autre, ils se croisaient. Se disaient-ils un mot, échangeaient-ils un sourire ? Ils avaient déjà disparu..
Et, derrière mon carreau, je restais seule tandis que la nuit peu à peu envahissait les rues.
.
(Photo de Brassaï - 1933)
LORRAINE