CARTE POSTALE
(Cette semaine-là, "Les Impromptus" nous suggéraient d'écrire une "carte postale". Comme ce mode de comunication devient très rare, je me suis reportée au temps béni où pesonne n'était pressé. Et je l'ai écrite, cette carte postale)
XXX
Et pourquoi viendrais-je, mon ami, admirer près de vous l’immensité des cieux ? Vous m’offririez aussi l’immensité de l’eau que je resterais de glace. Vous avez parcouru les terres étrangères dans l’élan impétueux de la jeunesse. Vous me disiez : « Je reviendrai, mon amour, mais les voix impérieuses de l’Aventure m’appellent. Attendez-moi, je vous en prie, vous savez que je vous aime ».
J’ai attendu. Je vous aimais aussi. Vos cartes, vos messages, me parlaient de vous, de vous encore, de vous toujours. De la clameur du soir dans les forêts profondes, de la beauté du matin près du ruisselet montagnard, des jours qui fuient, et de votre pensée fidèle. Plus d’un an s’est écoulé. Et, rassasié de voyages, de découvertes (et peut-être de fatigues), vous me priez de vous rejoindre.
Mon ami, d’autres hommes sont restés dans ce pays, dans ce village, et m’ont trouvée avenante. J’ai dansé à plus d’un bal, j’ai bu l’eau de la fontaine qui prédit le bonheur, et j’ai compris qu’il n’est pas près de vous. Je mettrai samedi ma main pour toujours dans celle de Jean-Louis le meunier. Il n’a pas parcouru le monde mais il était là quand j’avais froid, quand tombait la neige, quand Noêl est descendu sur terre et que Pâques a carillonné à toutes volées par-dessus le hameau. J’espère que vous recevrez cette carte postale. Je sais que vous n’en souffrirez pas.
Le 10 octobre 1888
LORRAINE
Jeune fille à la fontaine (Valéry Krassoudine, peintre russe)