LA MAISON INDIGO
Personne n’y habite. Son cœur bat pourtant, bourré de souvenirs, ivre de passé. La maison n’a plus d’âge, elle a vécu des naissances dans sa chambre bleue et quelques décès, plus isolés, dans l’austère chambre jaune. Elle fait semblant d’avoir oublié.
Elle préfère la résonance des rires dans les couloirs d’autrefois, quand Yvette y galopait, une tresse défaite, poursuivie par Yvan armé d’un faux couteau.
La maison indigo, en fait, a cent ans. C’est vieux, même pour une maison.
Mais quelle délectation d’un autrefois dont elle a retenu les veillées, les bougies multipliées par les glaces du grand salon, la mazurka qui fit fureur, le plumet dans le chignon des dames, le plastron amidonné des hommes, et le furtif baiser sur une main alanguie.
La maison indigo est romantique ; Elle ne renie ni son perron dévernis par les pluies, ni sa tourelle dentelée et vaine. Sa couleur indigo fit sensation. A cette époque, les maisons étaient sages, disons même vertueuses, blanches, élégantes et racées, mais sages ! Mais Marguerite voulait une maison indigo et personne ne résistait à Marguerite. Elle y abrita ses rêves, ses amours et ses chagrins. Ses jumeaux Yvan et Yvette y grandirent en âge et en turbulence.
La maison indigo soupire. C’est eux qui introduisirent le charleston et la ribambelle d’amis invités pour les « soirées dansantes ». Ils jetaient un pied en l’air sur le côté, puis l’autre, se tapaient légèrement, bras croisés, les genoux qui se cognaient en mesure, tournaient sur eux-mêmes et se rattrapaient miraculeusement. Ils étaient jeunes, ils furent vieux, ils disparurent.
La maison indigo est là, toute seule, dans le jardin décoiffé, écoutant le vent qui la heurte. Elle ferme les yeux. Elle a cent ans.
LORRAINE