MILORD
Comme les humains et les animaux, Milord a souffert de la canicule. Il ne savait comment s'étendre: de tout son long sur le côté, pattes avant étendues, il ressemblait à un arc. Couché sur le dos, ventre et pattes en l'air, yeux clos, on aurait pu le croire heureux, mais il bougeait vite, faisait trois pas, s'écroulait tourné vers moi ses grands yeux m'interrogeant: "Que se passe-t-il? Pourquoi ai-je si chaud? ". Je répondais: "Viens près du ventilateur, celui que tu préfères". Mais il n'appréciait aucun des trois répartis dans l'appartement et reprenait son attente...comme moi, aussi mal à l'aise que lui.
La fenêtre de ma chambre au soleil depuis le lever, malgré les rideaux fermés,
emmagasine la chaleur et ce n'est qu'à une heure du matin que je puis enfin l'ouvrir espérant que la nuit rafraîchira un peu l'atmosphère; les ventilateurs continuent néanmoins à fonctionner. Etendue dans l'obscurité, j'attends le premier souffle d'air frais...vers deux heures ou deux heures et demie. Alors, Milord se détend. D'un bond il saute sur la plate-forme, court, s'ébroue, saute sur le rebord et regarde trois étages plus bas ce qui pourrait se passer dans la cour...Puis il escalade les toits et galope. Je m'endors.
Ce matin, je m'active. L'air plus frais m'entraîne à des tâches ménagères : vaisselle, lessive, rangements. Milord n'est pas là. Je ne m'inquiète pas. Ses heures de lever varient. Mais à onze heures, un peu inquiète tout de même, je l'appelle. Rien. On ne bouge pas. Où est-il? J'appelle à ouveau, un peu plus fort. Rien. Je me couche à plat ventre sur la carpette, munie de ma lampe de poche, sachant que c'est un endroit de préférence. Mais soudain je frémis: il n'est pas là!...
Alors me reviennent ses pirouettes sur le toit, son vagabondage nocturne, et surtout, surtout, ses bonds libérés, son regard scrutateur vers le bas de l'immeuble et m'envahit, que dis-je, me submerge la peur qu'il soit tombé, qu'il est mort ou agonise... J'appelle: "Milord!...", je tends l'oreille: rien. Je dis plus haut: "Milord!...". Rien ne bouge. Alors, d'une voix claironnante et fort perceptible, je crie "Milord", "Milord"... plusieurs fois de suite, à la volée, crescendo.
Alors, un faible miaulement me répond, je me retourne, Milord à peine éveillé arrive lentement, sortant du salon, dérangé dans une sieste accomplie je ne sais où. J'ai pourtant regardé partout, partout où il va d'habitude...Il a sans doute repéré un nouvel endroit et je suis passée à côté. Peut-être était-il sous le fauteuil juponné jusqu'au sol où il ne va jamais? Qu'importe, il est là, sain et sauf.
Et moi, une fois de plus, j'ai ameuté les voisins par mon angoisse et surtout par ce "Milord" qui a résonné contre les carreaux ouverts ou fermés...Je ne me fais aucune illusion: depuis quatorze ans, si personne ne me voit à la fenêtre de ma chambre, tout le monde m'entend... et se gausse sans aucun doute de ce prénom prétentieux (qui aurait du rester entre nous deux) et de mes appels affolés.. Je suis probablement la "mère à chat" du quartier.
Que voulez-vous. Quand on aime...on ne réfléchit pas!...
LORRAINE
Légende photo: "Moi? je suis innocent..."