SUZY
D’où viennent nos souvenirs? Et pourquoi surgissent-ils inopinément? Rien de particulier n’arrive, c’est un jour comme tous les autres. Et voici que je repense à Suzy, cette Suzy d’autrefois qui dansait si bien le charleston.
Dans sa robe rouge emperlée de fragiles pierres grises autour des jambes agiles, je la revois soudain. . Elle croise les mains sous le menton, pliant les genoux en cadence, déchaînée saute sur un pied, le bras en l’air, ses cheveux courts ceints d’un court diadème à la mode tandis que l'orchestre s’égosille et que les danseurs, rassemblés peu à peu autour de la piste battent des mains.
Suzy, ce succès! Il est resté tout entier dans ces longues boîtes où s’entassent
les robes d’alors, les escarpins trop hauts, l’éventail chinois et les disques à la mode “La fille du Bédouin”, “Trois heures du matin”, “Alleluia”!...
Suzy, je la revois encore enveloppée dans son long maneau de velours, le col de fourrure relevé, ses yeux bruns incendiaires sous le khool qui les assombrissait davantage. Suzy, qui plia mélancoliquement dans la boîte du haut la robe de satin rose aux godets qui s’évasaient en un gracieux froufrou, les manches floues larges et courtes comme des pétales et dont le corsage ajusté soulignait le buste mince. Suzy, ses robes que j’aimais, petite fille, et qui en faisaient une femme élégante promenant sa silhouette élancée au Bois de la Cambre sous les lumères des salles de danse en plein air, au son du jazz.
Suzy, ma grande cousine que j’admirais tant, partit un jour pour l’Amérique. Je ne la revis jamais. Mais ce soir, elle est là et j’entends, venu de très loin, l’écho de sa voix charmante.
LORRAINE