MONOLOGUE DU NUAGE
(Que peut bien penser un nuage? C'était le thème de la consigne, alors je me suis mise à sa place et j'ai décrit ce que mon bon sens m'inspirait...)
XXX
Je suis tout en soie, de la soie mordorée très souple. Elle se gonfle quand je deviens navire, et m’emporte par-dessus les clochers d’église, les vertigineuses falaises, les villes endormies.
Je plane. Je rêve. Je miroite même quand les hirondelles en quadrille me traversent au printemps. J’ai des reflets d’azur et des reflets rosés au crépuscule et d’un pas de monseigneur, je survole alors les villages qui s’endorment.
Je suis un nuage rebondi, allègre, je joue avec le soleil et le vent s’il est de bonne humeur me pousse à toute allure vers des pays hospitaliers.
J’ai dit « hospitaliers ». Car hélas, il en est d’autres. La Belgique,
par exemple. Dès que j’aperçois ses frontières, je me rembrunis, je sais qu’elle m’attend de toute sa grisaille. Elle fait semblant d’être avenante, elle érige pour m’accueillir des beffrois moyenâgeuses ciselés d’anges et de gargouilles, elle a l’attrait pernicieux des peuples belligérants qui se mesurent avant de se massacrer. Et c’est moi qu’elle massacre !
J’ai à peine franchi quelques mètres qu’une petite pluie fine et inconsistante me reçoit en faisant des salamalecs obséquieux :
« Entrez, vous êtes chez vous. Installez vous bien à l’aise. Venez, je vous montre le chemin ».
Je me rebelle, je veux faire demi-tour, j’appelle à la rescousse le vent et la tempête, mais rien à
faire. La pluie est souveraine. Elle le sait. Et moi, joli nuage blanc insouciant qui vient du Sud, je m’écartèle, j’abrite à mon corps défendant des volumes et des volumes d’eau, je perds ma grâce, ma silhouette et j’immerge, bon gré mal gré, une population résignée qui me lorgne avec malveillance.
Alors, quelquefois, je m’effiloche. Et je redeviens un morceau de ciel qui vogue vers l’Orient.
LORRAINE