BEBE CADUM
Il vendait des journaux et moi je les achetais chaque jour. Il était blond, Vincent, preste, souriant, je le voyais à mi-corps dans le kiosque au coin de la rue.
- La Gazette, s’il vous plaît
- Le « Laast Nieuws »..
Timide, j’attendais mon tour. J’avais 14 ans, des bas trois-quart, les cheveux à la chienne et des taches de rousseur. J’étais une habituée. Il me tendait « La Libre Belgique» machinalement.
- Tiens, Bébé Cadum, tu veux autre chose ?
- Non, merci. Au revoir, Monsieur.
- Au revoir, fillette.
Fillette ! M’avait-il bien regardée ? est-ce que je l’appelais « Jeune homme, moi ?
Maman se le permettait quand d‘aventure elle m’accompagnait. Mais moi, j’étais courroucée. Et puis Bébé Cadum »…
- Mais c’est un compliment, affirmait ma mère. Il m’a dit un jour que tu avais son sourire.
Ah ! bon ! Mais c’est quand même un bébé ! Et moi, j’en ai assez de ces bas jacquard qui me font une jambe de garçon. Et puis, mon grand frère m’a promis que pour mes quinze ans je pourrais choisir mes nouveaux souliers. Plus ces horribles molières noires. Je sais déjà ce que je veux, je regarde tous les jours en passant la vitrine « Chez Antoine » où il expose de mignons souliers à talons, d’un bleu pas trop foncé ni trop clairs, bleus, quoi ! Je les mettrai pour acheter « la Libre » c’est dans huit jours mon anniversaire et je demanderai de longs bas comme cadeau à ma sœur. En soie peut-être, ou mercerisés tant pis, mais comme les femmes. Et alors on verra !
Je suis allée le coeur battant perchée sur mes premiers talons. J’avais aussi mis ma robe rouge à volants. Vincent m’a regardée distraitement, s’est détourné, puis il a vivement tourné la tête pour mieux me voir.
- C’est toi, Bébé Cadum ! Mais tu es une demoiselle tout à coup ! Ca lors ! Tourne-toi que je te voie mieux, allons, n’aie pas peur…
Un peu ridicule, un peu timide, j’ai tourné. Vincent approuvait dans son kiosque. Et trois clients approuvaient aussi.
Depuis lors, je sais qu’on attrape les hommes avec deux rubans et un sourire…
LORRAINE