Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE CAHIER DU SOIR de LORRAINE
LE CAHIER DU SOIR de LORRAINE
Publicité
LE CAHIER DU SOIR de LORRAINE
Visiteurs
Depuis la création 178 214
Newsletter
48 abonnés
Derniers commentaires
Archives
24 novembre 2013

VIRGINIE

 

      D’une chiquenaude sur “Ma vie à l’envers”, je retourne dans le passé. Qui va jaillir? Quel petit personnage perdu va soudain reprendre vie le temps d’un billet pour s’effacer ensuite doucement dans les brumes d‘autrefois?..

XXX

 

      Je ferme les yeux... Et la porte s’ouvre. La belle porte vernie de la 6ème année primaire, poussée par la main vive et majestueuse de Soeur Supérieure, grande silhouette altière ,coiffe blanche et robe noire,  sourire esquissé.

    Mademoiselle Marie-Louise, saisie mais prompte,  claque des mains. D’un seul mouvement, vingt-quatre élèves se lèvent; deuxième claquement, toujours aussi énergique, un pas de côté, nous sommes dans la rangée, entre les bancs; au troisième claquement, nous ferons la révérence... Mais d’où jaillit cette confusion,Virginie

ce brouhaha soudain, Mademoiselle Marie-Louise toute rouge, Soeur Supérieure toute pâle? Le cérémonial tourne court, pourquoi? Je ne vois pas bien, je suis grande donc mon pupitre est au fond de la classe..Puis brusquement je comprends: au premier rang, Virginie est restée assise...

    L’institutrice assure sa voix:

    - Virginie, levez-vous!

   Virginie fait non de la tête. Nous retenons notre souffle. Sur l’estrade, Soeur supérieure, hautaine, toise l’insoumise. Hélène, toujours bavarde, chuchote à l’oreille de Christiane. Mademoiselle Marie-Louise tente une diversion désespérée:

   - Hélène, taisez-vous!

   Puis réunissant toutes ses forces:

   - Et vous, Virginie, levez-vous!

  Nous, les filles, sommes partagées entre une gaîté retenue et un étonnement muet. Virginie nous déconcerte, nous sommes habitués à ses boutades, à son rire, mais elle, une forte tête? On n’y croit pas. Surtout, on ne comprend pas. Soeur Supérieure, toujours debout, s’entretient avec une Mademoiselle Marie-Louise cramoisie, partagée entre une forme de terreur, l’incompréhension, l’inquiétude et manifestement le souhait que cesse ce cauchemar!  Nous aussi on aimerait comprendre mais nous sommes seulement une classe de jeunes filles bien élevées et d’habitude obéissantes!

  Et puis, quelque chose se passe, un rapide échange à voix basse entre la Supérieure et la subalterne, qui semble incrédule, étonnée puis pleine d’espoir. Presque soulagée, elle revient vers Virginie, qui tête baissée, les bras croisés sur le pupitre, écoute.  Et fait oui de la tête. Alors tout va vite. Soeur Supérieure nous adresse un lumineux sourire, l’institutrice nous ordonne: “En rang deux par deux”, oubliant la révérence avortée, nous passons devant l’estrade et suivons les instructions:

   - Allez au Musée, restez calmes, vous avez dix minutes de récréation. Mariette, surveillez la classe...

  Mariette est la chouchoute. Nous nous engouffrons au “Musée”, salle où voisinent d’hétéroclites objets : le squelette Martin, deux tableaux noirs, quelques chaises, des livres, des vitrines pleines de petits pots étiquettés, une mappemonde...On a escamoté Virginie. Soeur Supérieure retourne dans son bureau, un discret bruit de seau qu’on cogne nous avertit que l’une des petites bonnes est dans la classe.On veut voir, Mariette dit: ‘Silence tout le monde”, mais on lui rit au nez. Yvette va ouvrir la porte mais trop tard; souriante et aimable, Mademoiselle Marie-Louise réapparait:

   - Mes enfants, retournez vous asseoir. Et prenez votre livre de lecture page...

  Nous ne reverrons Virginie que le lendemain. Plusieurs d’entre nous ayant raconté l’événement chez elles, revinrent documentées; d’autres parmi les plus âgées, soupçonnaient les faits. 

   Le sang de Virginie lui révélait pour la première fois (et d'impétueuse façon!) sa nature de femme. Comme la plupart d’entre nous, elle en ignorait tout . Que nous étions loin de l”éducation sexuelle” si indispensable à l’équilibre de chacune! Trente-cinq ans plus tard, ma profession m’amena à faire des exposés à des parents d’élèves sur la façon d’aborder cette éducation sexuelle. Le souvenir de Virginie ne fut pas étranger à cette série de conférences.

 

LORRAINE

(Dessin: http://petitemimine.centralblog.net)

 

Publicité
Publicité
Commentaires
C
Quel beau récit ! merci, Lorraine. On n'imagine plus cet univers, que tu restitues avec tant d'intensité.
Répondre
C
Pauvre Virginie ! c'est ce qui s'appelle un grand moment de solitude qui la poursuivra toute sa vie... Fichus tabous qui ont bien empoisonné la vie des jeunes filles. Bisous
Répondre
M
Merci pour ce récit en mots délicats comme tu sais si bien les faire...pauvre petites et toutes les autres....mais maintenant. !!<br /> <br /> Bisous et bonne soirée.<br /> <br /> Marielle
Répondre
K
C'était tabou dans le temps ... la facilité d'expression d'aujourd'hui sur le sujet a du bon<br /> <br /> Bonne journée Lorraine
Répondre
_
Bonjour chère Lorraine,<br /> <br /> <br /> <br /> la nature est ce qu'elle est, et nous rattrape toujours.<br /> <br /> Bien sûr, en d'autres temps certains tabous (comme celui que tu évoques ici) étaient tenaces. Virginie était loin d'être un cas isolé, et je mesure, moi qui ne suis qu'un homme (et n'étais qu'un garçon donc), ce que cela devait être pour une adolescente de quitter ainsi brutalement (du sang, ce n'est pas rien quand on ne sait pas d'où ça vient) l'enfance. <br /> <br /> C'est toujours un plaisir de revisiter tes souvenirs avec toi, quels qu'ils soient, parce que ta façon de nous les restituer y est pour beaucoup.<br /> <br /> <br /> <br /> Belle journée d'hiver précoce à toi. <br /> <br /> Bisous.
Répondre
Publicité