QUAND JE CHANTAIS...
Je viens de publier "Quand on chantait...". Et si j'enchaîne en précisant "Quand je chantais...", c'est pour répondre à Emma qui me demandait si j'avais connu les réunions familiales où, après dîner, l'assemblée entonnait des chansons sentimentales ou luronnes. Je ne peux mieux faire que ressortir ce billet paru il y a quelques années dans mon premier blog. J'espère qu'il vous distraira.
XXX
L’année de mes cinq ans, en vacances dans la villa de ma tante, j’assistai à un grand dîner. Les dames portaient des robes perlées sur le corsage, les volants s’ornaient de minces perles de verre, les toilette gris clair côtoyaient du bleu ciel, du rose pâle ; un long collier descendait presque jusqu’à la taille, on l’enroulait négligemment autour du doigt ; beaucoup buvaient dans des coupes du champagne qui les faisait rire.
Mon cousin Paul, qui avait vingt ans et m’aimait bien, m’installa près de lui à table, rehaussant ma chaise de deux coussins et maman prit place de l’autre côté. Je fus irréprochable. Au dessert, j’écoutai mon oncle chanter la « Sérénade de Toselli » ; un monsieur retourna sa chaise , se mit à cheval dessus, le dossier devant lui et entonna « Les 80 chasseurs » repris en chœur par une assemblée luronne.
- Et toi, petite, qu’est-ce que tu nous chantes ? interrogea soudain mon oncle.
On s’attendait aux « Petits nains dans la montagne, verduronette, verduret..». Je répondis tout bas : « Griserie ». Paul enlevait déjà les coussins et me mettait debout sur la chaise. Maman, qui n’avait pas bien compris, tirait le bas de ma robe, un peu inquiète :
- Qu’est-ce que tu dis ? Tu ne vas pas chanter...
J’y mis tout mon cœur. Sérieuse, la voix claire, sans fausse note, conduite par l’habitude (mes frères aînés chantaient beaucoup), j’entamai :
« T’avoir à moi rien qu’une nuit
Sans bijou et sans voiles
Aux clartés des étoiles
T’avoir à moi rien qu’une nuit
Mourir demain mais t’aimer aujourd’hui ».
Les gens riaient aux éclats. J’étais un peu choquée, mais je continuai la voix ferme, le regard limpide et quand je terminai, ce fut un triomphe. Maman ne savait où se mettre.
- Ce sont ses frères, vous comprenez, elle est si petite, elle ne comprend pas...
- Chère Madame, c’est charmant...
Je mis mon chapeau blanc imprimé de roses du même tissu que ma robe et j’allai jouer à la balle dans la prairie. Rentrée à la maison, on me fit promettre de ne plus jamais chanter en public. Je ne compris pas pourquoi.
LORRAINE