LE CALME RETROUVE...
"La sieste" de Richard Muller.
Je fais le vide dans ma tête. C’est un exercice difficile ! Je m’y emploie depuis tant d’années ! Oublier, non par désespoir ou par lassitude, mais pour atteindre ce « vide » délicieux où rien n’effleure l’esprit, où l’on s’envole vers on ne sait quel autre monde, où l’on perd jusqu’à la notion de son corps, de son être. Ce vide-là, je le recherche le soir, quand les bruits sont feutrés ou absents ; quand je m’étends avant de dormir et que je me refuse de penser. Parce que c’est l’instant précis où les questions les plus diverses font leur apparition fracassante :
« Tu n’oublies pas de téléphoner à Ghislaine ? Tu as bien éteint la machine à laver ? Tu es sûre ? Tu as bien fermé la fenêtre de la cuisine, au moins ? Tu... »
Je leur dis zut ! C’est moins facile à faire qu’à dire La machine à laver me tire par la manche pour que j’aille voir ; la fenêtre de la cuisine laisse imperceptiblement passer un rai de vent coulis ; une idée saugrenue me saute dessus à l’improviste, comme une petite souris qui passerait devant mon lit et s’en irait à ses affaires. Cette idée saugrenue peut être la robe que je mettrai demain, ou le dîner à préparer, ou une soudaine petite faim de chocolat. Bref, tout ce qui m’interdit de « faire le vide », tout ce qui encombre cette pauvre tête fatiguée, tout ce qui dresse un mur devant l’irrésistible envie de « faire le vide ».
Et pourtant j’y arrive. Pas toujours. Souvent. C’est un entraînement. Je me concentre sur mon visage, je visualise la racine des cheveux et je « vois » descendant à toute allure, deux petits bonshommes jaunes qui effacent mes tracas, mes rictus, mes sourcils froncés. Ils gomment, ils lissent, ils astiquent, je les regarde faire, je me détends, et si l’un dérape soudain je le rattrape par le pan de sa tunique jaune. Ce n’est pas un massage, c’est un effacement. L’effacement de tout ce qui me poursuit, m’encombre, m’embarrasse. Et le vide surgit, calme comme une mer apaisée, habitée de légers elfes qui traversent la chambre, de fleurs, d’oiseaux. Puis je m’endors. Et le vide m’accompagne.
LORRAINE