L'INSTANT PARFAIT...
Tambour battant, les jours claquent au rythme de la vie, se feuillettent comme les pages d’un livre, se suivent, se ressemblent, se comptent ou se décomptent au gré de l’humeur. Que faisions-nous hier ? Des bribes nous reviennent, insignifiantes, se heurtant sans suite et sans importance. Car rien n’est important, sauf les moments du cœur. Mais qui le sait ?
Une petite fille en robe à fleurs mit ce jour-là son chapeau à bride du même tissu. On lui donna une pomme qu’elle croqua à l’ombre des marronniers, en écoutant les oiseaux et fut heureuse. Pour rien, pour tout, en cette cour de récréation bordée d’une pelouse où s’épanouissaient les rosiers rouges. L’instant fut parfait et le restera jusqu’au dernier souffle.
Le moment du cœur ne s’improvise pas, il vient à son heure. Il ne se prolonge guère : il est là et déjà il n’est plus. Peut-être sa perfection naît-elle de sa fugacité. Un émoi, un sentiment de bonheur, le premier regard d’une rencontre le rendent inoubliable. Comme sont inoubliables la maison familiale – où cousins et cousines se retrouvaient chaque année – le ruisseau franchi d’un bond, la couleur même du soleil et sa saveur d’herbe coupée, le chèvrefeuille du bois voisin, la musique des soirées ouvertes sur le jardin.
Les années s’écoulent et les fileuses que nous sommes dévidons inlassablement l’écheveau de nos heures les plus prosaïques, les plus douces ou les plus meurtries. Rien n’y fait. Nous passons à côté de joies subtiles et nous cognons à nos chagrins.
Les succès viennent et se retirent ; les amis passent et s’en vont. Les enfants naissent et se marient. Autour de nous, tous les départs. Mais en nous, quelles présences ! Quel puits tintant d’une eau bouillonnante et claire où se reflètent, sinon nos mirages, du moins nos heures les plus chères… Nous n’en parlons guère.
Et nous garderons l’éclat des bonheurs passés, pour peu qu’attentives aux moments du cœur, nous en tissions nos souvenirs.
LORRAINE