PETITS METIERS PERDUS
Autrefois, quand je m’aventurais à ouvrir le balcon, toute la ville venait à moi, multicolore et ronronnante. Je connaissais des chiffonniers l’appel dans le matin, la longue voix stridente d’une acheteuse de greniers, et j’entendais rouler sur les pavés la charrette tirée par un gros chien. Chaque mercredi, la flûte discordante d’un chanteur des rues éveillait ma pitié et me crispait les nerfs. Son répertoire ne changeait pas d’une note, fausse la plupart du temps ; il s’arrêtait aux mêmes portes et souriait aux mêmes visages.
De temps à autre, des enfants et leur maître s’en allaient à la piscine ; ils passaient sous ma fenêtre et leur murmure envahissant devenait une houle emplissant toute la chambre ; j’aimais leurs voix heureuses et j’écoutais décroître leurs pas. Quand ils repassaient, ils avaient les cheveux mouillés mais n’avaient rien perdu d’un entrain bavard qui réveillait l’aboi des chiens au fond des cours et chassait les chats de la boulangère.
Il y avait encore le rémouleur et son refrain, la fleuriste qui offrait ses bouquets et le marchand de paniers, et le marinier qui vendait des anguilles. Ils s’en allaient par petits métiers, tous dans ma rue, et la coloraient sans le savoir de ses pittoresques nuances. Si définitivement perdues !
LORRAINE
"La marchande de fleurs"
(Tableau d'Augusre Edwin Mulready)