IL N'EN A PARLE PERSONNE...
(Le thème de la consigne permettait toutes les orientations. Voici la mienne)
XXX
Il n’en a parlé à personne, il est seulement retourné dans le jardin d’été, là où elle a disparu peu à peu, comme un dessin qu’on efface.
Il n’est pas fou, il le sait. Certains l’ont cru, déjà ses parents se regardaient avec inquiétude quand il parlait tout seul. D’accord, il ne disait pas les paroles des autres enfants, il ne demandait pas « Tu joues avec moi ? » , il ne clamait pas : « Je suis Zorro » ». Non, il semblait faire un retour un peu halluciné dans le bon vieux monde, il continuait simplement son histoire intérieure et répondait avec douceur :
« Sa main est fine et tient ma main. Elle a une robe d’argent. Maman, pourquoi tu ne lui parles pas ? »
On l’ a mené chez le docteur. On l’a fait marcher, lever les bras en l’air, se tenir sur un pied ; il a pris des fortifiants, des vitamines, beaucoup de lait. II a été à l’école, puis dans une autre, puis dans une troisième, puis rien. Il est resté à la maison, il a suivi une thérapie, le psy était sympa, il écoutait ses histoires. Il lui a même suggéré de les écrire. Et il l’a fait. Jusqu’au jour où elle est venue familièrement s’asseoir dans le fauteuil, près de lui. Elle a murmuré : « C’est notre histoire, c’est bien, écris encore ».
Il n’en a parlé à personne. Mais il a écrit, beaucoup; beaucoup de feuillets sont remplis de son écriture. Il se relit, il est content. Elle aussi. L’autre jour, ils sont allés ensemble dans le jardin, derrière la cabane, sur le banc de bois. Elle l’a pris dans ses bras, elle a posé ses lèvres sur les siennes, il voyait l’ombre de leur couple sur le mur, elle a chuchoté : « Je pars, ne pleure pas » et elle a disparu peu à peu comme un dessin qu’on efface.
Il n’en a parlé à personne. Mais maintenant, il va la rejoindre…
LORRAINE
Tableau de F.J. Stevens