FOUETTE COCHER!
J’ai franchi le seuil du musée et me suis enfoncée dans un siècle perdu : là m'attendaient traîneaux d’impératrices, chaises à porteurs et diligences. J’ai regardé à travers les vitres : n’allait-on pas, de l’intérieur, soulever d‘un geste curieux le rideau à franges ? Un visage voilé, peut-être, se pencherait ; un signe furtif m’inviterait au départ. Pour moi, n’a-t-on pas descendu le marche-pied forgé, n’est-ce pas un laquais que j’entrevois dans l’ombre et cette voix qui crie : « Fouette cocher ! » l’ai-je vraiment rêvée ?
Une berline s’ébranle dans la nuit pluvieuse, emportant un bonheur caché sous ses persiennes. Voici la forêt et ses pistes gelées sur lesquelles s’élancent ce traineau noir et bleu ; une main tient les rênes, le pied fin se blottit sous le plaid, un tourbillon emporte l’équipage.
Et me voilà seule face au carrosse d’or où princes et prélats bercèrent leurs voyages.
La chaise à porteurs
L’hermine y côtoya la pourpre ; le velours des banquettes connut les cheveux fous des belles amoureuses et la toge sévère de la Loi.
Le fiacre s’éclairait d’une lanterne sourde. J’aperçois le passant, son gibus, sa valise. Les chevaux martèlent la nuit… Voitures d’autrefois que nul ne connaît plus, vers quels songes aujourd’hui m’avez-vous entrainée ? Le Musée s’est pour moi peuplé de chers fantômes ; ils ont de doux visages et des gestes perdus, ils partent vers des rives d’où l’on ne revient pas.
Je me suis arrachée à leur charme. Dehors, le soleil brillait. Mais j’ai gardé, pour tout un jour, l’âme empoussiérée de nostalgie.
L'arrêt de la diligence (tableau de Wright)
LORRAINE
P.S - J'ai retrouvé ce petit texte d'il y a bien longtemps, quand je visitais encore les Musées. Il m'a semblé à sa place sur ce blog où je parle si souvent du passé!..