UN CANARD DANS LE PRE
Son petit œil me lorgne comme je traverse la prairie pour rejoindre la maison de ma cousine. Il est non loin, sûr de lui, pas inquiétant pour un sou, l’aile lissée et d’un vert bien à lui. C’est un canard venu d’ailleurs et son chant bouche close me surprend, un peu saccadé, répétitif aussi, ni trop hargneux ni trop aimable, comme s’il avait un coup de blues.
D’où vient-il ? Il n’en dira rien, c’est son secret. Mais peut-être regrette-t-il les horizons quittés à grande vitesse, un jour de froidure ? Peut-être espérait-il le soleil ? Peut-être a-t-il un marais de prédilection auquel il aspire ?
Je m’arrête, il s’arrête aussi. Allons-nous parler ? Il m’évalue, son petit crâne réfléchit. Je chuchote : « Coin, coin... ». Il me toise. Ah ! bon, il ne parle pas canard ? Pas canard belge en tous cas. Les canards irlandais, les canards roumains, les canards bretons se comprennent-ils entre ux ? Sont-ils contraints d’apprendre la langue de la commune s’ils viennent s’installer à Beersel ou à Krainem ? Il me devine. Il s’approche, je ne bouge pas, je sais qu’il va me répondre.
Et il me fait « grou-grou, grou-grou » avec amitié. Il sait que je comprends. D’ailleurs il reprend sa marche et je le suis jusqu’au pas de la porte. Ma cousine se met à rire :
« Ah ! tu as rencontré Charly ? Tu as remarqué, il parle anglais. J’essaie de lui dire qu’ici on fait « coin-coin ». Inutile, il est intraitable. Les canards du lieu lui font un peu la tête mais il s’en moque. On devrait faire comme lui... ».
Le canard rebelle, pendant ce temps, a trouvé un canard fille et j’entends comme ils s’éloignent, un dialogue chaleureux qui dandine avec bonheur les « coin-coin » et les « grou-grou ».
Ah ! l’amour !...
LORRAINE