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LE CAHIER DU SOIR de LORRAINE
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LE CAHIER DU SOIR de LORRAINE
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22 novembre 2015

LES BEAUX ENFANTS...

                   Quand j’étais une petite fille, une poudre de lait très renommée (la Phosphatine Falières) épaississait les biberons,  se muait en panade, prenait consistance de crème onctueuse, bref nourrissait les bébés très, très longtemps, puisque je m’en souviens encore. C’était mon repas du soir, chocolaté et vaguement écoeurant. Maman s’extasiait sur ma bonne mine . Puis  la marque organisa un « Concours des Beaux Enfants » au Palais du Cinquantenaire à Bruxelles, où elle m’inscrivit sans tarder !..(1)

         Elle me conduisit donc d’une main ferme dans la longue file ou d’autres enfants de quatre ans à peu près, s’accrochaient à la robe de leur mère, pleuraient tout haut ou se faisaient des grimaces en catimini. On nous groupait par catégories. J’ignorais ce qui m’attendait, on m’avait simplement dit : « Le docteur va voir si tu es en bonne santé. Après, on te ramènera, je serai là, sur le banc, tu vois ? ».

         Je ne voulais pas quitter maman, j’avais les larmes aux yeux, mais on nous appela soudain toutes les deux, on nous poussa dans une petite pièce et maman se mit à me déshabiller.

         « Pourquoi tu enlèves mes souliers, maman ? Et mes bas ?

         « Pour te peser, n’aie pas peur ».

         « Et ma robe, maman ? Et mon corsage ?.. »

         Et ma petite culotte bateau attachée sagement par des boutons à ce corsage, prémisse je suppose, du soutien-gorge ? Elle me prit dans ses bras. Une infirmière grande et forte, le voile lui barrant le front et descendant derrière jusqu’aux reins, se saisit fermement de moi et me fourra un petit beurre dans la main. C’est ainsi que je fis mon entrée dans la salle du concours, entièrement nue et totalement effarée.

         Une très longue table occupait le centre de la somptueuse salle qu’illuminaient de hautes fenêtres ensoleillées. Alignés autour, des messieurs en blanc prenaient des notes. Les infirmières leur glissaient une fiche, un dossier. Des enfants arrivaient au bout de la longue table quand on me hissa à mon tour.

         « C’est la petite Lorraine, on l’a passée sous la toise, on l’a pesée, c’est bien. Viens, tu vas marcher maintenant et tu t’arrêtes si un docteur te parle. Tu as bien compris ? »

         J’avais bien compris. Mais marcher toute nue sur une table, même à quatre ans, sous le regard exercé d’inconnus m’effrayait malgré mon obéissance. L’un me pinça les mollets et marqua son avis sur une feuille. Il me fit mettre de dos pour voir si j’avais bien deux plis fessiers (certains bébés n’en ont qu’un, paraît-il, ce qui leur enlève des points...).Un autre examina attentivement ma voûte plantaire, reposa mon pied, l’examina encore. Il parut satisfait et laissa son voisin m’ouvrir la bouche et considérer mes dents. Je fis ainsi deux fois de long en large le parcours de la table, puis fus enfin resituée à ma mère. Je dus rendre le petit lapin de peluche qu’on m’avait donné pour me distraire et, cette fois, je pleurai vraiment en m’en allant.

         Un matin, maman reçut une lettre qui la rendit toute joyeuse :

         « Tu as le Premier Prix, ma chérie, tu as le Premier Prix ! »...

         C’était quoi, un prix ? Un beau certificat avec ma photo dans ma plus belle robe (nous avions, en effet, été chez un photographe mais je ne savais pas pourquoi), qui orna la salle à manger jusque bien après mon mariage.

         Je l’ai toujours, cette photo. Quand maman a senti qu’elle approchait de la fin, elle a fait un feu de joie de tout son passé : ses lettres d’amour, celles de ses enfants au cours de leur vie, les photographies de tous les âges, elle a tout brûlé. Elle a fait table rase des petites joies et des tendres souvenirs. Mais sans doute un lointain écho de l’effervescence du concours d’autrefois la retint au dernier moment : mon beau certificat échappa à l’autodafé ainsi que la photo jaunie d’une petite fille aux yeux effrayés, qui regarde le photographe en se demandant ce qui lui arrive.

LORRAINE

(1) - Ce n'est peut-être pas la Phosphatine Falières qui organisa ce concours; mais comme elle faisait partie de ma vie quotidienne, je l'ai toujours cru!

 

phosphatine Falières

ANNEXE O.N.E.

            L’œuvre Nationale de l’Enfance fut fondée officiellement le 5 septembre 1919, mais elle avait déjà multiplié les interventions tout au long de la guerre 1914-1918. Son souci essentiel : « sauver l’enfance » . En effet, il était apparu comme primordial de soutenir les familles,  notamment par une aide alimentaire et la lutte contre la mortalité infantile, mais aussi par la coordination d’un vaste réseau d’oeuvres locales allant dans le même sens. A l’époque, cette logique présidait également dans tous les secteurs sociaux : sociétés de retraite, caisses d’épargne et de prévoyance, mutuelles, coopératives, syndicats, etc.

            Au début du 20ème siècle, les enfants meurent en bas âge, pour des raisons évidentes : dans une société industrielle où (comme les hommes) les femmes travaillent dur, la contraception n’existe pas, les bébés se succèdent d’année en année, naissent faibles, vite emportés par la moindre épidémie, sont nourris la plupart du temps au biberon sans attention particulière à l’hygiène ou à la qualité du lait ; bref sans aucune notion de bonne nutrition ni d’hygiène des nourrissons.  L’O.N.E. va soutenir une vaste campagne d’actions diverses tendant toutes à freiner la mortalité des enfants. Ses missions sont définies dans une optique de Santé Publique, ce qui est relativement neuf pour l’époque.

            Citons quelques initiatives qui y contribuèrent efficacement : les consultations pour nourrissons, les Gouttes de Lait, les Colonies et Centres de vacances, etc. Et le concours de Beaux Enfants qui stimulait les mamans à se surpasser dans l'art de bien nourrir leurs bébés.

              Et bien d’autres sans aucun doute.

 

LORRAINE

 

                 

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Commentaires
C
L'objectif de ces concours était louable mais quel traumatisme pour la petitoune que tu étais... Il n'empêche que tu as remporté l'épreuve haut la main, la preuve que tu avais déjà le courage chevillé au corps. J'ai adoré ton récit même s'il m'a aussi serré le coeur... Bisous
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T
En ce temps là, une bonne bouillie calait bien les petits estomacs...
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S
Un beau bébé et....une éternelle âme d'enfant ; ce serait ton prix aujourd'hui !!!<br /> <br /> <br /> <br /> T'embrasse FORT lorraine : sabine.
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L
bonjour lorraine moa qui est assez timide je ne pense pas que j'aurais fait ce défiler lol pas facile quand on est une petite fille jspr que tu fait bien merci de ta gentille visite bisous bonne soirée
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K
Bonsoir Lorraine<br /> <br /> Et merci de partager tes bons souvenirs ... et toujours avec de si beaux mots
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