CARTES D'ANTAN...
Elles ont disparu des vitrines, les cartes illustrées ; les papeteries ne s’encombrent plus guère que de vues touristiques et de quelques images humoristiques pour le touriste de passage. Internet a condamné aux oubliettes les cartes où l’on se disait de petites choses aimables ou simplement l’heure d’un rendez-vous. Je les regrette un peu.
A six ans, combien d’heures silencieuses n’ai-je pas charmées par ces visages de jeunes filles qui étaient alors à la mode et témoignaient d’une pensée amoureuse ! . Mes frères sortaient de leurs tiroirs les Suzette ou les Marguerite qui avaient cessé de plaire, et je les rangeais précieusement après des chiens chapeautés balayant la cour ou du chat penaud affalé contre une borne et qui disait « Je vous attends »...
Quand mes frères furent au régiment, ils m’envoyèrent des pioupious, une cantinière, la sérénade de pierrot, des lunes ivres, des Noëls au champagne,. Ma sœur Lizzie s’était fiancée et nouait d’un ruban rose les bilets qu’elle enfermait dans un secrétaire. Quelquefois, elle défaisait le ruban et sortait de dessous la liasse une carte ancienne qui
montrait un jeune homme dans un cœur. Quand je sus lire, j’épelai que « la chère Lizzie » désespérait René, notre ami de toujours. Comme la chère Lizzie était sage, elle ne répondit pas aux aveux et j’héritai ainsi l’une après l’autre des supplications, des révoltes, enfin de l’adieu. J’ai gardé si longtemps ce bagage sentimental que je le confonds parfois avec mes propres souvenirs.
Il me reste une boîte close dans laquelle j’ai remisé quelques chats jouant de la guitare, un bébé chat sur la lune et sa maman éplorée le haranguant d’une prairie, un visage délicat de jeune fille souriante, une ronde de Catherinette, quelques autres. De quoi éveiller ce rien de nostalgie qu’on garde au cœur, quoi qu’il arrive.
LORRAINE