LES CHAPEAUX DE PAILLE (4)
Un cri la fit se retourner: "Juliette !"
Tante Henriette se tenait sur le pas de la porte en tablier fleuri sur sa robe de lin. Juliette se précipita dans ses bras, l'embrassa trois fois sur les joues à la mode de Belgique, en disant "Maman t'embrasse aussi".
Le garçon au chapeau noir les observait sans un sourire, trop sérieux pour son âge, pour l'été qui flamboyait alentour, pour les raisons de sa présence en ces lieux. Que dissimulait son regard noir ? Quelle peine, quel tracas ou sombre dessein endeuillait ainsi tout son être quand il aurait dû être heureux d'être là, loin des murs de l'université, au cœur d'une région bénie des dieux, face à une jolie fille qui lui souriait?
Obs
- Voici Rémi, dit tante Henriette, nous l'avons pour la saison.
Juliette fit un petit signe joli, inclina le cou et le chapeau de paille, et sortit au bras de sa tante. Elle le serrait fort, car elle était affectueuse et elles firent ensemble le tour du jardin comme on fait celui d'une grande propriété. On releva la tête d'une rose, on ôta une mauvaise herbe, on cueillit deux reines-claudes bien mûres, deux poules traversèrent le sentier en crètelant, et tante Henriette décréta:
- Je vais ramasser les œufs, elles ont sûrement pondu. Tu viens aussi, Juliette?
Juliette vint. Les poules se rengorgeaient et roulaient des yeux effarés. L'une perchait bien haut, l'autre faisait le gros dos sur une couvée, les plus gourmandes picoraient n'importe quoi et Juliette enleva son chapeau. Elle avait chaud et soif. Elle se demandait aussi pourquoi Rémi ne parlait pas, ou très peu.
- Il vient d'où, ce garçon?
- Quel garçon? interrogea tante Henriette qui n'y était plus.
-Eh bien, l'étudiant, Rémi je crois...
- De Lille. Pourquoi?
Oui, pourquoi? Juliette se mordit la langue.
-Pour rien, dit-elle, une question en l'air.
Et elle sortit du poulailler un peu précipitamment. Le chapeau était ceinturé d'un ruban rouge, un bouquet de fleurs séchées l'ornait de travers, c'était un vieux chapeau qui avait beaucoup servi.
- D'habitude, c'est Paul qui le met, commenta tante Henriette chargée d’œufs. Il n'a pas peur du ridicule. C'est un chapeau de femme.
PASSANTE
Photo: rosier grimpant -fimagine.jntrivial.infoétudiant