AH! LES MAGASINS D'ANTAN!
Quand j’étais petite fille, maman était fidèle à ses commerçants de quartier. Elle achetait le linge de maison chez Hayoit (qui existe d’ailleurs encore) ou à « La lingerie des Flandres » (à une époque où la Belgique n’était pas séparatiste) ! La dame d’âge posé qui nous servait avait un chignon à peigne d’écaille, le teint jaune, les mains maigres mais adroites pour manipuler le mètre de bois à une vitesse qui m’hypnotisait ! A côté de chez elle, un magasin de parapluies offrait sa vitrine bariolée dont j’aimais les pépins ouverts avec grâce et de l’autre côté, une « Chemiserie » cossue proposait ses assortiments de chemises pour hommes et ses cravates.
Nous ne connaissons plus le soin attentif avec lequel nous tâtions le tissu (de la popeline, de la soie, du beau coton mercerisé), comparant les textures et les prix ! Mon frère aîné était très élégant, et j’accompagnais maman les veilles d’anniversaire où elle choisissait longuement ce qui conviendrait à son fils bien-aimé. Le patron, Monsieur Vincent, la guidait tandis que je lorgnais du côté de l’arrière-boutique où les deux fils, Edouard et Robert louchaient et se poussaient en me faisant des grimaces…Nous avions sept ou huit ans alors et jamais nous ne nous serions parlé en nous croisant dans la rue !...On avait l’impression que « cela ne se faisait pas » !
LA RENTRE DES CLASSES
En évoquant mon frère, je me rappelle l’émotion teintée de fierté avec laquelle je suivais ses gestes quand, à la rentrée en 1ère primaire, il rédigea les étiquettes « à la ronde ». Cette écriture « à la ronde » que j’ai toujours été incapable de reproduire, émaille mes jeunes années et mon frère en assuma longtemps la rédaction irréprochable en tête des livres et cahiers de classe.
Il remplaça mon père dans mon éducation. J’avais neuf ans quand celui-ci mourut et, sur son lit de mort mon frère lui promit de veiller sur moi. Il fut, comme on disait alors, « le soutien de la veuve et de l’orphelin », devint chef de famille et exerça une autorité gentille mais ferme envers la fillette rêveuse que j’étais. J’avais « mes » tâches ménagères ! J’époussetais la chambre et la salle à manger, je faisais les commissions secondaires (le boulanger, le pharmacien et parfois l’épicerie) maman s’occupait le matin des emplettes pour les repas et, quand j’avais fini mes devoirs, j’étais priée de broder…Broder ! J’exécrais !.. Oui, les soies multicolores me plaisaient, je les lissais entre mes mains, j’admirais leurs dégradés qui, pour un même fil, passaient du rouge foncé au rose fraise, ou du bleu indigo au bleu ciel. Ce qui teintait le napperon de suaves nuances.
Mais j’étais maladroite, j’avais horreur du point de tige, il était toujours trop grand et ma sœur aînée, mariée, vérifiait mon travail et n’hésitait pas à me faire recommencer ! En y repensant maintenant, je me dis que maman n’adorait pas non plus la broderie, car je ne lui ai jamais vu un « ouvrage de dames » entre les mains. Elle préférait la couture de vêtements et coupait hardiment des jupes ou des corsages qu’elle confectionnait avec beaucoup d’aisance. Mais j’étais trop jeune pour m’en aviser et réclamer quand, ayant terminé péniblement un dessus de cheminée représentant des petits Hollandais en sabots ou me fourrait dans les mains un autre dessus de cheminée où je brodai des tulipes.. Et un troisième où j’alignai des cerises appétissantes. Je suppose que là s’arrêta mon expérience de brodeuse ; car je n’ai aucun autre souvenir de motifs divers et sans doute me prit-on en pitié ou comprit-on enfin mon incompétence !
Je me rends compte en écrivant que tout ceci a un goût suranné, un parfum de roman pour jeunes filles ! Et cependant, ce fut mon enfance, et je ne regrette rien. Même pas d’avoir appris la broderie ! D’autant plus que dernièrement, consultant la neurologue pour mes migraines, elle me conseilla de diminuer l’ordinateur…et de broder pour me détendre !...
J’envisage presque sérieusement de m’y remettre !
PASSANTE