LE TEMPS DE L'IMMOBILITE
Les longues promenades autour du lac, quand donc y ai-je tout à fait renoncé ? Autrefois, j’entreprenais les trois kilomètres d’un bon pied de marcheuse et je crois bien que j’essayais de battre mon record. Adolescente, j’y venais chaque jour au moment des examens et j’affirmais bien haut que marcher me mettait les idées en place. J’emportais même mon carnet de cours mais très vite, animée par l’ombre chaude des marronniers, je me récitais Lamartine ou Musset qui faisaient chavirer mes bonnes résolutions d’étudiante.
Comme il est loin, le temps de l’insouciance ! Je vis aujourd’hui le temps de l’immobilité. Ce temps dont Colette, dont je suis une lectrice passionnée, écrivait :
« Je me persuade qu’il faudra, quelque jour, puiser autant de joies au bord d’un balcon qu’au cœur d’une forêt ou que dans le pli d’un mer tiède »…
Et elle ajoutait : « Le monde fourmille d’infinis très petits et qui suffisent »…
Qui suffisent à entretenir l’observation, l’attention, le rêve, le souvenir. Plus de récréation pédestre, ou très peu. Alors, quand il m’arrive de sortir, je me remplis les yeux de ces fleurs qui scintillent dans leur parterre sous une goutte de pluie attardée ; de ce chiot frénétique au bout de sa laisse et qui s’exerce à aboyer comme on dit « Je suis là, regardez, je dis bonjour, j’aime tout le monde » et j’écoute les pépiements d’oiseaux comme si c’était la dernière fois, comme si je ne devais plus les entendre, jamais.
Un orage vient de passer par-dessus la maison. Un superbe arc-en-ciel dessine ses lumineuses couleurs qui enjambent l’horizon. Il fait clair à nouveau. A quinze ans, je sortais pour respirer l’odeur de la terre humide. Aujourd’hui, assise sur mon divan, je me contente de regarder au loin la frange des arbres que le vent balance avec douceur. Et c’est bien aussi.
LORRAINE