LE SIFFLET
Un très ancien sifflet vibre dans l’air du soir
Comme s’il réveillait en moi une complainte
C’était, il m’en souvient, l’appel du savoyard
Qui marchaid dans les rues en modulant sa plainte
Il vendait les journaux aux portes des maisons
On lui donnait l’argent, il donnait les nouvelles
Son béret, ses gros doigts, ses sabots, son haillon
Je les revois soudain. Il sifflait de plus belle
Quand son chariot boiteux qu’il tirait d’une main
Coinçait sur le trottoir. Une brusque colère,
La peur, je ne sais quoi, le reproche inhumain
La rancoeur, le chagrin, déformaient le pauvre hère
On l’ aidait et déjà il repartait tout droit
Ne sachant ni parler ni dire sa détresse
Bégayant quelques mots dans un sombre patois
Pressé d’aller servir, avant qu’on l’admoneste
Ce sifflet impromptu a soudain ramené
La lointaine vision d’une époque finie,
Le triste savoyard, son regard hébété,
Et son appel du soir et ma mélancolie
LORRAINE