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LE CAHIER DU SOIR de LORRAINE
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7 février 2014

JE SUIS CANTINIERE

 

 

         

       (C'était le sujet de la consigne. Et comme cette année célèbrera à sa façon le centenaire de la guerre 1914-1918, j'extrais de mes documents ce texte écrit dans l'ignorance totale de ce que fut la cantinière, mais en mémoire néanmoins aux millions d'hommes morts sur les champs de bataille)

 XXX

 

 

         « Champagne pour tout le monde ! ».

 

         Je suis cantinière et servir les hommes, ça me connaît. Alors, le 11 novembre, c’était la liesse. La liesse ? Si je dis ça, c’est parce qu’ils étaient contents, les pioupious, même Roger avec son œil sanguinolent et Joseph le mollet arraché sous le bandage maculé de sang, de plus en plus maculé..

 

          On l’avait ramené à l’arrière l’avant-veille, il divaguait, il repoussait de la main des choses qu’il voyait et qu’on ne voyait pas, nous autres. Pour l’Armistice, on lui a permis d’être couché sur son grabat à côté de Pierre dont les mains tremblaient tellement qu’il ne pouvait pas tenir son verre.

 

         Cela lui était venu dans les tranchées quand il avait heurté en reculant le corps boueux de son frère Edouard, dont les pupilles dilatées regardaient le ciel. Il n’a pas pu lui fermer les

cantiniere

yeux, on le poussait, c’était un sauve-qui-peut, les schrapnells tombaient comme une pluie de feraille, il criait « Edouard ! Edouard ! », mais Jean-Baptiste l’a entraîné, l’a tiré de là, comme il avait ramené l’adjudant fou en plein fou-rire. L’adjudant, pas Jean-Baptiste. Lui, c’est un dur à cuire et un chançard. On en voit des comme lui qui s’en tirent à tous les coups, ou rentrent d’une hécatombe avec seulement une entorse. C’est vous dire !

 

         Jean-Baptiste aide Roger à boire son champagne. C’est difficile mais il y arrive. Les bottines crottées de Joseph, il n’en a plus besoin, on les a données à Yves qui boitillait, un pied nu l’autre chaussé, lui-même ne sait pas pourquoi.

 

         - Encore un peu de champagne, Rose. On a gagné. Et cette guerre, c’est la der de der...

 

         Le sergent m’offre un verre. On trinque. On ne sait pas si c’est le vent de novembre qui ulule ou les moribonds. Tout le monde ignore où est passé Charles. Il était pourtant avec eux quand les tirs ont cessé et que des deux côtés dans les tranchées on s’embrassait. La guerre est finie !

 

         Oui, mais les Gueules Cassées, je pense à ceux que je connais, Valentin, Ignace, Arthur, les autres. Qu’est-ce qu’ils vont devenir ? Sans figure, sans nez, la joue arrachée, et ces pansements vigoureux que les médecins s’efforcent de rendre humains et n’en restent pas moins un masque affreux qui fait peur...

 

         Antoine boit son champagne. Il n’est pas blessé, il chantonne. L’ennui, c’est qu’il n’arrête pas de chantonner, il a l’air de ne pas nous voir, comme s’il nous avait quittés pour un monde meilleur.

 

         « C’est le choc », dit le docteur. « Mais il reviendra sur terre, docteur, il me reconnaîtra ? ». Car Antoine est mon amoureux, on s’est promis de s’attendre. Mais s’il continue à chantonner, Antoine, s’il continue à ne pas me reconnaître, qu’est-ce qu’on deviendra ?

 

         Je sers.

 

         - Rose, champagne pour tout le monde(

 

 

 

LORRAINE

 

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Commentaires
D
bonjour Lorraine<br /> <br /> triste période en cette époque combien d'hommes et de femmes sont morts pour que nous soyons là aujourd'hui..<br /> <br /> tous avaient que c'était la dernière mais dans le monde les guerres s'enchaînent..<br /> <br /> un bien beau texte que tu nous apportes..merci à toi et bon dimanche D R
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K
Avec ce centenaire on parle de la guerre partout ...ce fut triste il est vrai mais gardons le moral dans les troupes en ces jours!<br /> <br /> Bon We Lorraine
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P
Quelle horreur tous ces hommes massacrés physiquement et psychiquement... <br /> <br /> La der des der... hélas ça n'en finit jamais.<br /> <br /> Bon week-end Lorraine, bisous.
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J
Femme de sous-off qui suivait la troupe militaire, un peu à l'écart, avec sa roulotte/cantine, il fut mis fin à ceci en 1914... Plus de femme dans l'univers guerrier ai-je ou sur le net... et ma foi pas un spectacle que celui-là, déjà en tant que religieuse infirmière.... mon dieu ! Merci Lorraine pour cet écrit... Bises de jill
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Y
Cette guerre c'est la der de der, comme le verre. Mais il y aura toujours des verres et toujours des guerres, hélas!<br /> <br /> Bises Lorraine Yvette
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