UNE LUEUR A L'HORIZON...
Je le rappelle, ma sœur aînée avait seize ans de plus que moi et elle avait eu la chance de choisir les études pour lesquelles elle était faite. Mon père vivait, elle était douée, elle devint donc professeur de mathématiques. Son diplôme lui ouvrit les portes d'une grande firme de parfums où elle devint secrétaire de direction. Elle y resta jusqu’à son mariage. Puis elle resta au foyer pour élever ses deux garçons. Quand Jean eut 3 ans et Roger presque deux, elle songea à reprendre un emploi, postula celui de professeur de sténo-dactylo en cours du soir à la Ville de Bruxelles, réussit l’examen haut la main et commença en septembre. Elle enseigna donc trois fois par semaine, de 18 à 21 heures, aux garçons et filles qui s’ étaient inscrits.
J’avais 12 ans à l’époque, j’étais une jeune tante qui s’occupait un peu des bébés pendant que maman préparait leur souper et leur coucher. C’était la seule façon pour ma sœur de reprendre sa profession, son mari chef-cuisinier, travaillant tard dans la soirée.
Si je raconte cet épisode c’est qu’il influença fortement mon avenir. Le lundi, le mercredi et le vendredi j’avais pris l’habitude de rentrer chez ma sœur aussitôt après l’école. Maman arrivait plus tard et quand j’avais fini mes devoirs, je me plongeais dans les romans d’Alexandre Dumas, repérés dans la bibliothèque.
« Tu es trop jeune », disait maman, « ce ne sont pas des livres pour enfants ».
A quoi ma sœur rétorquait :
« Laisse-là, il vaut mieux qu’elle lise que s’ennuyer. Et puis, Dumas, ce n’est pas grave».
Tout y passa : « Le comte de Monte-Cristo », « Madame de Montsoreau », «Ascanio », « Le collier de la Reine », « Les trois Mousquetaires », « La Reine Margot », « La tulipe noire », « Le vicomte de Bragelonne »,Vingt ans après », « Les Quarante-Cinq »...et j’en oublie certainement. Je n’ai sans doute pas tout compris, mais je m’envolais dans le monde imaginaire et plus que jamais, je me disais : « Je serai romancière ! »...
Je voyais pourtant que je n’en prenais pas le chemin. Je continuais à coudre ( mal !) et à étudier (bien !). Rien de neuf à l’horizon. Et comme j’arrivais au bout de la collection de livres de ma sœur, je commençais à m’ennuyer quand les enfants étaient au lit et que maman et moi attendions son retour. Nous repartions vers 22 H. et rentrée chez moi, je m’endormais comme une souche. Ma sœur nous parlait quelquefois de ses cours, de ses élèves et j’y prenais de l’intérêt. Une idée germa, devint impérieuse : comme je ne serais jamais couturière, si je devenais sténo-dactylo ? L’idée s’imposa comme une évasion. Et l’année de mes 13 ans, je demandai à maman de suivre les cours de ma sœur.
Elle me regarda, saisie.
- Tu parles sérieusement ?
- Oui, j’aimerais beaucoup.
Ma sœur objecta :
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- L’âge d’admission est 14 ans. Je ne crois pas qu’on t‘accepterait.
-Tu pourrais demander au Directeur. Il t'apprécie beaucoup, suggéra maman.
Le Directeur réfléchit à son tour puis accepta. Mon frère Jean, mon tuteur, avait de son côté son mot à dire, mais il se réjouit plutôt de mes dispositions studieuses. Cela impliquait que j’étais décidée à travailler sérieusement. Et à la rentrée, pour la première fois, j’accompagnai Elisa aux cours du soir.
PASSANTE