LA LECTURE INTERDITE
Fréquenter les cours du soir trois fois par semaine en plus de mes études secondaires (voir «Une lueur à l'horizon», 23 mars) me fatiguait mais je ne l’aurais avoué pour rien au monde. Je craignais que maman prenne des mesures, c’est-à-dire qu’elle mette fin à la sténo-dactylographie pour laquelle je me passionnais.
J’avais mis toute mon ardeur à dessiner et retenir ces petits hiéroglyphes .Voir comment on pouvait, par exemple, résumer « Tout le monde », « En ce qui concerne » « Chemin de fer » et bien d’autres en un seul trait me fascinait ; mais c’étaient là des raccourcis qui s’appelaient d’ailleurs « exceptions » .Les autres signes devaient se lier entre eux pour former le mot. On y arrivait peu à peu, écrivant d’abord « Je me lève » en quatre traits de crayon, ou encore « Je me lave », exactement semblable au précédent ; le contexte nous précisait s’il s’agissait de se « lever » ou de se « laver ». Et puis le fait d’avoir ma sœur comme professeur m’amusait un peu. Personne ne s’en doutait. Et elle n’était pas plus indulgente envers moi, au contraire. De sa voix douce mais ferme, elle disait : « Lorraine, un peu de silence, s’il vous plaît »...Et Loraine cessait de parler à Emma, sa compagne de banc, âgée de 19 ans et qui lui racontait ses amours ! Une année s’écoula. J’eus « Grande distinction » pour la sténo et « Distinction » pour la dactylo. Mes doigts malhabiles pour la couture l’étaient moins pour la dactylo, mais je n’avais pas encore acquis la vitesse souhaitée.
Un jour, maman m’attira dans la lumière et me dit : « Tu as une petite mine, toi. Tu lis trop ! »...Je lis trop ! .. C’est vrai que le soir, dans mon lit, j’emportais le livre loué chez le bouquiniste, ou le magazine de mon frère. Ou encore le « Marie-Claire » que ma sœur achetait chaque semaine et nous passait après l’avoir lu. Apparemment, ce n’était pas raisonnable... Je venais d’atteindre quatorze ans, je suivais ma seconde année du soir, la lecture était ma seule distraction, mais maman (pour mon bien !) décida que c’était terminé : plus de livre dans la chambre, lecture autorisée le dimanche après-midi, tous devoirs scolaires accomplis.
D’abord, j’éprouvai un sentiment de révolte. Mais très vite, je cherchai une solution. Je montai me coucher sans livre pendant une semaine et je ruminai. La solution m’était apparue, si aveuglante qu’elle me saisit moi-même ! Mais pour la réaliser, je devais m’organiser. Et c’est à cela que je réfléchis pendant ces quelques jours: puisqu’on me défendait de lire, c ‘était bien simple, j’écrirais !...
PASSANTE