CHAT, MON AMI
J'avais tant d'histoires de chats en tête et dans le coeur, qu'un jour j'en fis un manuscrit. Je le proposai à trois éditeurs: l'un ne me répondit pas, les deux autres me dirent qu'ils le publieraient à condition que je fournisse les photos de mes petits félins. J'en avais deux ou trois, pas plus, manifestement trop peu pour illustrer un livre. Je rangeai donc le manuscrit dans mes tiroirs et le laissai dormir. Jusqu'à aujourd'hui où je me dis qu'il ferait peut-être le plaisir de lecteurs aimant les chats. Je rassure les autres: je ne vais pas inonder le blog de mes histoires. J'éviterai aussi de poster les chapitres les uns après les autres. Je laisserai un laps de temps et quand le récit me paraîtra un peu longuet, je le couperai en deux. J'espère ainsi n'importuner personne et en amuser quelques-uns.
PROLOGUE
C’est un seigneur et il le sait. D’ailleurs, je le lui dis. J’ai toujours eu pour lui une préférence irrésistible, celle qu’éprouvent les gens qui se regardant pour la première fois, se reconnaissent pour toujours.
Nous sommes faits pour nous entendre. Je lui souris, il me sourit, son visage de chat cligne des yeux quand je lui parle et vous ne me ferez pas douter un instant qu’il sait très bien où nous en sommes.
Du plus loin que je me souvienne, il partagea ma vie. Nous avons été élevés ensemble ; peut-être avons-nous appris le même langage ? Celui des grand chemins, des indépendances, des libertés mutuelles et de l’affection partagée. Je n’ai jamais eu d’Aristochat, mais des Princes de gouttières, rayés de gris comme la nuit, ou noirs et se confondant avec elle, des félins qui rôdaient les soirs sans lune et me revenaient un peu hagards, sentant bon le vent et les arbres d’automne.
Ils se sont suivis dans mon existence et survivent dans mon souvenir. C’est par amour pour eux que j’écris leur vie, si intimement liée à la mienne qu’il est bien difficile de les séparer. Sans eux, je ne serais pas tout à fait moi. Je suis profondément convaincue que c’est le cas de tous les humains qui abritent sous leur toit ce sphinx étrange au regard lunaire.
Seuls ceux qui les méconnaissent pensent qu’ils sont tous semblables. Nous savons bien, nous qui les aimons, qu’ils s’acclimatent là où ils se sentent compris, et grandissent selon les rites de la maisonnée. Ils restent eux-mêmes, mais le chat d’un artisan n’est pas celui de l’antiquaire, du médecin, du boulanger, du fermier ou de l’écrivain. Ils partagent leur gravité ou leur drôlerie, connaissent leurs us, apprécient leur profession, s’en accommodent et évoluent selon le va-et-vient de ces maîtres qui scandent leurs heures de loisirs. En quelque sorte, ils épousent la famille qui les héberge. En revanche, ils inculquent aux humains un peu de cette fantaisie qu’on lit dans leur regard, dans leur grâce naturelle et la souplesse de leurs jeux.
C’est pourquoi dans ce récit, je n’ai pu dissocier tout à fait notre vie familiale de leur petite existence affectueuse. S’il m’arrive de raconter un fait professionnel ou conjugal, c’est pour situer mieux le chat qui y réagit à sa façon, s’adapte ou s’insurge selon ses propres repères. De toute façon, il n’y est pas indifférent. « Chat, mon ami » est un voyage dans le monde félin, où les humains sont admis.
Et, ne l’oublions jamais, il ne serait pas ce qu’il est si nous n’étions pas ce que nous sommes...
PASSANTE