DAVID ET C° (suite)
Quelquefois,
David se prête à nos divagations d’êtres humains. Calé dans le coin du divan , assis
sur l’arrière-train, pattes de devant reposant sur son giron, une oreille
dressée et l’autre couchée par ma main amicale, il écoute mes remarques :
« Mais voyez donc, il a mis son bonnet de travers ! ». Et si je
lui aplatis gentiment les deux
oreilles, dégageant soudain un visage rond et bénin, il endure
patiemment : « Voilà une petite fermière qui s’en va au
marché ! ». Il ferme ses yeux doux, il nous aime. Mais entend-il dans
le jardin un frôlement que lui seul reconnaît, soudain il est debout, hérissé,
et dans sa voix profonde grondent des roulements de colère. Il a deviné Tchang,
son ennemi le plus irréductible.
Il
vient on ne sait d’où, il apparaît, puissant, sur le plus haut mur de clôture,
saute sans peur au milieu de l’allée et avance, courroucé, vers n’importe qui : moi,
l’écuelle vide, un seau, un ballon, rien…Il gronde pour le principe. Tchang a
l’air chinois et cruel. Jai tenté de l’apprivoiser, mais baste ! Il n’en a
cure, à l’inverse de la plupart des autres, il est sauvage et il le reste. Mes
approches le laissent de marbre. Il consent à s’adoucir un peu quand je lui
donne un morceau de viande ou la pâtée de David. Et encore ! De loin !
Il n’est pas bon rester à la portée de ses griffes, il n’hésite pas, il vous
lacère.
Il
n’a pas dû être un chat heureux. Et sa face de bandit de grand chemin ne fait
rien pour arranger les choses. Il a sur le nez une tache grise, comme si une
goutte de pluie lui était tombée là et s’y était incrustée, ce qui lui donne
l’air bizarre de loucher, alors qu’il regarde droit comme vous et moi. De plus,
il mêle le roux au blanc cassé et sait comme pas un s’aplatir à l’affût de
votre dîner qu’il escamote en traître. Je l’ai surpris emportant le bifsteack
de midi et une autre fois, une cuisse de poulet qu’il défendait au gallot en
fulminant des injures.
Malgré
tous ces signes extérieurs de repris de justice, David l’attend de patte
ferme : il est maître chez lui et le prouve. Ils se sont déjà mesurés deux
ou trois fois, faisant résonner le voisinage de leurs hurlements. Je ne sais ce qu’ils se disent, mais
sûrement des ignominies : « Vaurien( Voleur ! Scélérat !
Vous en êtes un autre ! Paltoquet ! Minable ! Tête à
claques!… »
Je
les devine. Ils s’affrontent longuement avant le combat. Je les soupçonne tous
les deux de redouter l’adversaire, car ils se valent : même taille, mêmes
moustaches hérissées, mêmes dos arqués, même gabarit…avec qui voulez-vous
lutter ? Ils s’épient, s’envoient des gnons en l’air ou parfois des
claques bien appliquées, tandis que les voix se font rauques, les respirations
plus courtes ; le voisinage est énervé, moi inquiète. Je n’aime pas qu’ils
se battent. ..
PASSANTE