DAVID ET Cie (suite)
Ce ne fut pas, à vrai dire, sa meilleure idée. Car quelques semaines plus tard, il disparut comme dans une oubliette. Absent le soir, il l'était encore le lendemain matin. A midi, je m'inquiétai. A 19 H. j'allai chez les voisins. Marianne parcourut la rue de gauche et sonna partout, tandis que je prospectais celle de droite; Maurice s'enfonça dans les hautes herbes du terrain vague qui bordait la chaussée derrière le pâté de maisons. En vain. Bientôt le nom de David fut connu à tous les échos. On s'arrêtait pour nous questionner; on furetait avec nous. Peine perdue. David avait fait la malle et quinze jours de morne appréhension s'écoulèrent.
Nous avions presque perdu l'espoir. Presque, parce qu'au fond de notre coeur l'idée de ne plus revoir David nous était insupportable. Je dormais mal. Maurice aussi et un soir d'insomnie, il se releva et alla développer un film dans la salle de bain. C'était l'époque où il illustrait certains de mes reportages, ayant toujours eu un penchant pour la photo.
Soudain, dans le silence de la nuit, il crut entendre un miaulement. Il tendit l'oreille. Le son s'amplifia, devint un long cri déchirant et mon mari, comme un fou, s précipita dans les escaliers, ouvrit la porte de rue et reçut dans les bras un chat hâve, maigre et râpeux, dont on sentait les côtes, et dont le petit coeur battait comme un tambour.
- David est revenu! me cria-t-il comme je me réveillais.
Et à mon tour je reçus contre moi ce fidèle compagnon, cet animal qui avait bourlingué Dieu sait où, s'était accroché dans les ronces, avait perdu du poil, mourait de faim et de soif, se jetait sur le bol de lait puis ressautait aussitôt sur les épaules de mon mari et de là sur les miennes. Il étai téperdu de joie, de reconnaissance, d'être là, chez nous, chez lui. Il passaitde son irrésistible faim à son irrésistible besoin de s'assurer de nous, que nous l'aimions, qu'il étaitrentré at home. Marianne, éveillée par tout ce chahut, se mêla à notre bonheur. Nous avions failli le perdre à jamais, il nous était revenu, nous allions nous occuper à le requinquer.
A force de lait et d'un assortiment de roquettes sèches (il avait horreur de la viande!), il fut rapidement le David cossu d'autrefois. Nous lui demandions parfois:
- Eh bien, bonhomme, où es-tu allé?
Il répondait par un petit "waouh!" désolé, ne sachant en dire plus. Nous eûmes pourtant, par le libraire averti du retour du chat prodigue, l'explication de cette longue absence. Un jour de soleil, David s'était aventuré par les jardins habituels mais jusqu'au mur lointain qui limitait notre allée. Sans doute un peu désorienté, il avait néanmoins sauté dans un jardin inconnu dont la propriétaire, l'apercevant, l'avait expulsé par la porte de devant, donnant sur une route nationale au charroi incessant.
- J'ai un chien qui ne supporte pas les chats, expliqua-t-elle au libraire, et je voulais éviter à celui-ci d'être poursuivi et mordu.
Il ne fut ni l'un ni l'autre, mais se retrouvant dans la rue où il n'avait jamais mis les pattes, et qui plus est de l'autre côté de notre îlot, sans doute avait-il perdu la trace de ce qui lui était familier: le lilas de la laiterie, l'appentis du menuisier, les rosiers et les géraniums, le parterre arrondi du voisin, les murets où il se reposait en cours de route, tous ces repères, toutes ces odeurs qui le ramenaient d'habitude chez lui. Noyé dans la fumée et l'essence des camions, o`avait-il dormi, qu'avait-il mangé? Nous n'en saurons jamais rien. Mais pour lu l'aventure était bien finie: plus jamais il ne se hasarda ailleurs qu'à portée de voix et se contenta, pour s'y prélasser, de l'herbe des pelouses amies, ou du toit en pente à deux pas du noisetier.
PASSANTE (à suivre)