SAUVEE!
Petit introduction nécessaire
Ayant laissé une "fin ouverte" à la courte nouvelle "Un Homme", je vous dois une compensation. Voici donc une nouvelle complète, pas vraiment policière, mais quand même!...
D'autre part, Quichottine a eu la gentillesse de me donner une charmante idée de "suite" à "Un Homme". Je vais donc reprendre le texte, le continuer et le terminer. Bientôt. Quand je serai tout à fait bien. En attendant, voici "Sauvée!"
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Dans la savante pénombre du Palais d’Eté, debout sur la petite estrade de velours rouge, Yvan joue du violon. Sous son archet, il ressuscite « Les yeux noirs » et le frémissement de la musique le pénètres tout entier. Peu de monde. L’après-midi est calme. Quelques clients éparpillés, une jeune fille sur la banquette du fond. Devant elle, un thé garni.
- Elle était là hier… je ne me trompe pas ?
Son profil se détache dans le miroir, un profil sentimental, des cheveux bruns, le regard perdu. Elle tourne la tête vers lui et sourit.
Le violoniste est sérieux. Pas du genre à faire de l’œil à une cliente, fût-elle consentante. Il détourne le regard avec indifférence.
- Dommage, soupire Corinne, il est bien, ce mec.
Ce mec n’en a cure. Il a fini son boulot pour aujourd’hui. Tandis qu’un guitariste prend sa place, il entoure précautionneusement l’instrument d’une étoffe soyeuse, le couche dans la boîte à violon, referme le couvercle. Dans l’étroit vestiaire, il ôte son habit et enfile une veste par-dessus son pantalon noir. Distraitement, il jette un regard sur la jeune fille qui règle sa consommation. D’habitude, il sort par l’entrée des artistes, mais aujourd’hui, il ne sait pourquoi, il a coupé par la salle.
Dehors il fait un doux soleil de septembre et Yvan sent monter en lui une verdeur printanière.
-Je vais marcher un peu, cela me fera du bien.
Marcher, c’est flâner le long de la Place du Marché aux Grains, la place Ste Catherine où débordent les étals de fruits, les terrasses pleines des derniers touristes ; c’est découvrir avec étonnement que sans le savoir il a emboîté le pas à la jeune cliente mêlée à la foule et qui ne l’a pas remarqué. Près de l’œil droit, une petite veine le tiraille. Il n’aime pas cela. Comme il n’aime pas la sueur soudaine qui l’inonde un bref instant.
Corinne flâne, elle aussi. Elle s’est engagée chaussée de Gand et épluche la devanture de la boutique « Chanel ». Penchée, elle tente de lire le nom inscrit sur un flacon doré, quand une voix aimable l’interpelle :
- Mademoiselle, excusez-moi, n’étiez-vous pas au Mirano tout à l’heure ?
Une brusque vote-face : décidément, il est bien, ce mec !
- Vous m’avez reconnue ?
Elle est radieuse. Non seulement il l’a reconnue, mais il propose :
- Je vous offre un drink. Je connais un endroit très bien où nous pourrons bavarder à l’aise.
Vingt ans, un cœur à prendre, un beau garçon, une invitation sous un ciel presque estival ! Qu’auriez-vous dit à sa place ? Oui, bien sûr !
L’endroit très bien est tranquille. Un long couloir orné de satin bleu, des photos de danseuses légères, une porte qui s’ouvre sur un salon vide, ou presque. Les tables sont encloses dans des petites alvéoles discrètes, les banquettes moelleuses, Corinne interloquée, Yvan entreprenant.
Il l’aide à enlever sa veste et par mégarde, palpe un sein qui bat sous le corsage.
- Non, dit-elle, je vous en prie…
Mais elle se retrouve bousculée sur la banquette, collée contre le dossier, la bouche du garçon rivée à son cou tandis que d’une main fièvreuse il tente d'ouvrir son corsage.
-Garçon ! crie-t-elle à tue-tête, Garçon !
Yvan, furieux, la lâche. Le garçon apparaît et elle lance :
- Où sont les lavabos, s’il vous plaît.
Elle y va, bifurque à toute allure, trouve la sortie. Ouf ! Elle a oublié son sac et sa veste. Tant pis. On verra plus tard.
Corinne va droit devant elle. Dans les yeux d’Yvan, elle a lu la haine, la rage, pire, la folie. Alors elle marche vite, vite, de plus en plus vite.
Il la suit de loin. Il se rapproche. Elle se dépèche, elle court, il la suit. Elle halète. La place Ste Catherine, bondée, lui servira de refuge. Elle se fond dans la foule, se rue sur la porte de l’église, merci , Seigneur, elle est ouverte et cède.
Le lendemain, ouvrant le confessionnal pour y remplir son office et écouter les pêcheurs, le Père Duchène retient un hurlement : sur le siège, telle une poupée de son, une jeune fille gît, morte, étranglée
par une corde de violon.
LORRAINE