ETRE OU DEVENIR SOI-MEME (3)
Je revois le cercle attentif des femmes venues pour comprendre, surtout, non tant ce que nous sommes que la façon dont nous apparaissons aux yeux des autres.
Si nous étions toutes de bonne volonté, le fil qui nous reliait était si ténu qu’il a suffi d’un silence (le mien !) pour ouvrir le feu. Pourtant l’essentiel est d’arriver et peu importe la façon. Agressivité, humeur, provocation, ont déjà jailli à tour de rôle ; il s’est à peine écoulé une demi-heure.
TROISIEME ROUND
- Alors, tu t’expliques ?
- Qu’est-ce que vous voulez savoir ?
- Qui tu es. Par exemple, tes études pour qu’on comprenne mieux. Tu as été à l’Université ?
A la curée ! Puisque je porte un masque, pensent-elles, c’est le moment de l’ôter...Je balance quelques instants. Leur dire la vérité ? Ma vérité ? Je suis soudain extrêmement lasse et extrèmement calme. Je viens de comprendre que ce « personnage » qu’elles subodorent, cette « femme derrière une vitre » comme elles l’affirment est bien celle qu’elles ont vu : moi. Il ne s’agit ni d’une parade, ni d’un accoutrement, le personnage existe (quelquefois) mais elles se trompent sur sa raison d’être. Aucun dédain ne m’éloigne d’elles, aucune inimitié, une réserve, certes, mais aussi, mais surtout le retrait de qui, en territoire étranger, sent le danger et se rétracte. La peur, en somme. Oui...une défensive dont je ne suis pas vraiment consciente et qui se manifeste, lors d’un premier contact, pour disparaître aussitôt que je me sens en confiance. La peur ? Mais laquelle ?
Je les regarde. Elles attendent. Et je parle :
- Je suis autodidacte, je n’ai fait aucune étude supérieure, encore moins universitaire. Je ne pouvais pas, nous étions pauvres, mon père est mort lorsque j’avais neuf ans, nous avons connu la gène pour ne pas dire plus...
C’est vrai, je crains toujours la perspicacité d’autrui, qu’un jour on mette le doigt sur une de mes incompétences, une de mes omissions. Quinze ans de métier et toujours, au premier abord, le frémissement de l’inquiétude.
Je lève les yeux. Ellles écoutent, Catherine murmure : « Continue... » et je continue :
- Je voulais écrire, depuis les primaires c’était mon seul souhait, mon seul but. Maman disait : « Tu devras travailler, ma petite fille. Ecrire c’est pour celles qui font des études ». Et elle pleurait. Pour la rassurer, j’ai donc appris la couture ; mais en cachette, j’écrivais...Bref, je me suis formée toute seule, en dehors de l’enseignement, à force de...volonté.
J’hésite sur le dernier mot. Ne vais-je pas paraître prétentieuse cette fois, en proclamant « ma vérité ». Une toute petite parcelle de vérité C’est la première fois que je fais cette confession. J’ai toujours soigneusement tu mon parcours. C’est mon côté fragile. Mais nous étions « entre femmes » ! Nous voulions apprendre à mieux « se » connaître, j’ai été choisie pour franchir l’obstacle de l’anonymat. Je suis incapable de mentir et, de plus, je ne le souhaite pas. Comment vont-elles réagir ?
L’ambiance a changé tout à coup, je vois autour de moi des sourires, de la compréhension, de la sympathie, oui et le souhait que j’aille jusqu’au bout. Je l’ai fait. Mes chemins de traverses, mon acharnement, mes formations à horaire réduit, mes boulots de dactylo, puis de secrétaire, mes premières nouvelles envoyées en cachette et acceptées (ô miracle !) par un magazine, les conseils reçus et suivis, les bouquins étudiés seule, (la syntaxe et la stylistique notamment) tout cet apprentissage non conventionnel et parallèle aux cours de couture, d'abord, de travail dans un bureau ensuite, je l’ai dit. J’ai cassé mon « personnage » sciemment devant ce cercle parmi lequel je ne connaissais personne.
« Etre ou devenir soi-même » ? J’étais en train de le devenir...
PASSANTE