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LE CAHIER DU SOIR de LORRAINE
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18 février 2009

L'AVANCEE EN AGE (4)

    24 août

    amourkit2blinkQuelquefois, quand je regarde mon mari, je me demande s’il me voit. Il a toujours eu ce sourire esquissé, le rire et la gaieté discrets. Il pratique plutôt l’humour à froid, involontairement cruel quelquefois. Mais je suis habituée, je sais qu’une boutade chez lui, est une forme de pudeur et qu’il plaisante pour ne pas paraître ému.

    Nous nous connaissons bien. Nous avons tout passé ensemble. L’éblouissement du premier amour, sentimental et passionné : tout nous préparait à la démesure, mon romanesque et sa désespérance native. J’étais pétrie de rêveries et pourtant profondément vibrante, accordant sans difficulté l’inconciliable, mon éducation prude et mon impérieux besoin de vivre. Lui sortait d’une douloureuse crise de doute religieux dont il se remettait mal. A cette époque, l’existence lui paraissait vaine. Il la subissait de plein fouet quand nous nous sommes connus.


    Moi, j’ai vu d’abord qu’il était beau et grave. J’ai croisé un intense regard bleu qui semblait m’interroger et j’ai su que c’était « lui ». Sans hésitation, consciente déjà que nous différions profondément et pourtant sûre, en cette minute, de rencontrer mon destin.


    On perd la mémoire, pas le souvenir. Je me souviens du temps automnal, du cours du soir de sténodactylographie où il venait d’entrer et de ma place auprès d’Emma, une fille de 20 ans qui me racontait ses histoires de cœur. J’avais un peu plus de 15 ans, une figure de chat, de longs cheveux, des bas trois-quarts, un pull grenat qui dessinait des épaules minces et un buste menu. Nous allions passer huit mois à nous guetter sans rien nous dire, moi intimidée par ce garçon distant qui ne parlait à personne, lui arrêté par je ne sais quelle crainte de se tromper ou de nous perdre.


    Près de cinquante ans ont passé et je revois son visage étroit, les dents parfaites et les cheveux noirs bouclés. Il était tout contraste, la peau hâlée, le regard clair, le menton aigu, la voix douce. Tel je devais l’aimer d’une façon inextinguible, et je reçus en retour la passion dévorante d’un homme exclusif.


    Je me demande parfois s‘il songe encore à ce temps-là. Avons-nous les mêmes souvenirs ? Sans doute pas. Les couples de longue date gardent chacun leurs bribes d’images ; le passé est un mur troué de meurtrières par où filtrent des rais ou des faisceaux de lumière qui éclairent un visage familier,Petit_chemin_proven_al__Woodywouldepecan un banc du parc, un couple marchant dans le crépuscule et laissant dans l’ombre des pans entiers de ce qui fut une vie. C’est pour cela que nous sommes à la fois si proches et si lointains. Je ne saurai jamais quelle silhouette il a gardé de moi, quel jour, quels rires, ou quelles larmes. Même s’il voulait me le dire, il emploierait les mots d’aujourd’hui, vidés de sens et ayant perdu depuis longtemps l’éclat d’amour qui transfigurait nos vingt ans, nos trente ans et plus tard. Je ne reconnaîtrais pas la fille dont il me parlerait et sans doute pas davantage ne se retrouverait-il dans le garçon de qui je me souviens.

(A suivre)


PASSANTE

Illustration: route provençale - (Woodywouldepecan)

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Commentaires
P
Cher Lecouret, je suis sûre que dans un couple comme entre amis, nous avons des souvenirs différents d'une même période de vie. Car ce qui touche profondément l'un (et s'incruste à son insu) peut sembler secondaire à l'autre, qui l'oublie. On retient un fait, sans doute, mais c'est moins sûr pour une émotion. Je le pense, en tous cas.
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L
en mots simples et précis tu dis ces choses de la vie... celle d'avant, celle du présent.<br /> les mêmes souvenirs ont-ils la même valeur et la même intensité ?<br /> valeur sentimentale et précision des images, des paroles mémorisées...<br /> des interrogations intéressantes sur la mémorisation en fonction du vécu de l'événement.
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P
J'ai écrit dans un souci de clarté et d'authenticité. C'est sans doute cela qui sous-tend le récit, Coum, et lui donne son agrément. Un merci affectueux pour ton commentaire.
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P
Merci pour ton émotion, Tilleul. Elle me touche vraiment.
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P
Alors tu me comprends d'autant mieux...Mais ce sont des extraits d'un Journal écrit il y a pas mal d'années...Tu es sûrement plus jeune que moi.
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