LES CHAPEAUX DE PAILLE (12)
Le reste de la semaine se passa en travaux culinaires et champêtres que Juliette aimait par-dessus tout une fois l'an: cueillir les framboises, les groseilles et les fraises, faire des coulis, des confitures et des conserves, couper la rhubarbe pour cuire des tartes savoureuses, confectionner des bocaux de cornichons au vinaigre et de cerises à l'eau de vie, écosser les petits pois, arroser le potager assoiffé...
Ainsi, à chaque vacance, la petite citadine, si heureuse en tant normal d'avoir vu le jour au cœur du vieux quartier populaire bruxellois des Marolles, se félicitait-elle du hasard qui avait poussé les pas de son père jusqu'à cette proche campagne française pour y découvrir l'amour en même temps que sa mère.
Une seule ombre au tableau: après la cueillette des champignons du premier matin, Rémi avait repris son air sombre en même temps que ses distances et, lorsque la jeune fille évoquait avec sa tante la fête prochaine, il ne disait jamais s'il avait lui-même l'intention d'y accompagner la famille quand Paul, lui, essayait tour à tour le vieux canotier de son père, une casquette de poulbot, un chapeau de paille effrangé aux allures d'épouvantail ou son vieux béret militaire qui lui rappelait d'autres 14 juillet, de joyeuse mémoire.
OBS
Juliette décida de ne pas s'inquiéter de Rémi. Elle pensa résolument à sa robe et choisit celle à fleurettes rouges, bleues, jaunes, dont la jupe évasée s'ornait d'un liseré rouge tout comme le col claudine. Sa fine taille bien cintrée soulignée par la ceinture de cuir rouge elle aussi, elle se sentit jolie et sourit.
- Quel chapeau? songea-t-elle.
Un canotier d'autrefois lui rappelait Renoir et les bords de l'eau; ce chapeau cloche bien tiré sur les oreilles évoquait les années 20 et le mystère des yeux fardés de khôl ; un turban aux soies fanées l'auréolait de douceur; et ce tricorne d'où venait-il? D'une fête où sa tante, jeune fille, avait gagné le cœur de son oncle. Ce bonnet dessinait la finesse de ses traits; et ce cabriolet bordeaux rappelait le XVIIIè siècle.
- Comment choisir? murmura-t-elle, perplexe.
- Ohé, cousine, où es-tu? cria une voix.
- Dans la chambre de tante Henriette. Tu viens m'aider, Paul?
PASSANTE
Illustration: "Le déjeuner des canotiers" (tableau de Renoir)
"tricorne"