SWAMI L'INSOUCIANTE
A peu de temps de là, Marianne part au marché un dimanche matin avec son pèret Je termine un dossier urgent, et comme je descends du bureau, je les entends qui rentrent.
– Maman ! maman ! appelle Marianne, très excitée, me semble-t-il.
Ouais ! Maurice n’a pas l’air plus fier pour ça. Il explique d’ailleurs, décontracté :
-Tu ne devras pas t’en occuper, une tortue s’élève toute seule, c’est une bête tranquille, sans histoire.
Je la prends avec un peu d’appréhension, mais elle sort la tête et me bombarde du regard noir de ses yeux en bille. Elle n’a pas peur, il faut le reconnaître, elle nage des quatre pattes pour que je la dépose et comme je m’exécute, elle s’en va d’une marche cadencée : « tip-top, ti-top ». Moi, j’entends : « Thé-o, Thé-o », comme si elle scandait son nom. Mon mari et ma fille me regardent, un peu surpris ; ils n’avaient pas encore pensé au baptême ! Mais ils sont d’accord. Théo fait donc partie de la famille, comme Cui, les chats et le poisson rouge que Marianne (toujours elle) a gagné à la foire.
Un poisson à qui ni David, ni Swami ne veulent du mal ; ils viennent ensemble , chacun d’un côté de l’aquarium, boire longuement l’eau où le poisson apprivoisé et amical, remonte du fond vers les bouts de langue rose qui lapent en cadence.
Je me demande comment les chats vont accueillir Théo qui s’en va, nez au vent, faire connaissance avec « sa » prairie. Car manifestement, c’est déjà la sienne. Il n’a aucune timidité, par de complexe, aucun intérêt pour Swami qui, elle, par contre est totalement subjuguée. Qui est-il, cet animal rampant qu’elle n’a jamais vu dans les autres jardins et qui porte sa maison sur son dos ? Elle hésite à peine, puis ; joignant ses quatre pattes, se hisse sur la carapace du buldoozer lequel, insensible, continue son chemin. David est resté de marbre. Il regarde, superbe, ce bizarre attelage et Swami, enhardie, qui penche vers la tête de la tortue et lui en caresse aimablement le dessus.
Bientôt ils se comporteront tous en indifférents, les uns connaissant les autres et respectant leurs petites manies sans s’émouvoir. Les chats, qui ont chacun leur écuelle, mais quelquefois partagent la même, verront Théo accourir quand ils en ont terminé et vider d’un bec (comment dire d’autre ?) preste les miettes du festin : croquettes sèches au poisson, au poulet, ou au lapin, car je varie les menus, un morceau de viande par-ci, du pain au lait par-là. Théo, les pattes de devant dans la mangeoire, fait table rase. Tout lui plait, mieux dirait-on que la salade ou les tomates que je lui prépare quotidiennement. C’est une force de la nature. Il se laisse prendre (au ferait-il d’autre ?) et caresser le dessous du menton, mais quelquefois comme un chat, il souffle, preuve qu’il n’est pas content. On le repose alors et il va hâtivement vers les pousses de pois de senteur que Marianne avait plantées et qu’il dévore comme un animal préhistorique, avec fureur et persévérance.